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"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel

Judah is a "Punk Rocker"

Existe-t-il un style de musique marqué par le Judaïsme ? Ou plutôt devrais-je dire par les Juifs, car c'est la présence des Juifs[1]qui est à même d'infuser quelque chose de l'identité Juive, voire du Judaïsme, à une expression culturelle. Bien sûr il y a des styles de musique dont on pourrait dire qu'ils sont typiquement Juifs parce que nés à une époque et dans un milieu complètement Juif, comme le Klezmer ou la musique cantoriale. Mais leur audience est limitée, quasiment limitée aux Juifs eux-mêmes. De manière surprenante le style qui s'avère correspondre à une telle définition est le Punk. Pour beaucoup, le Punk s'est vu affublé d'une image d'extrême droite, en particulier à cause de l'utilisation de références au Nazisme. Mais en y regardant de plus près, il s'avère que non seulement le Punk original penche clairement à gauche, mais que les Juifs sont surreprésentés dans les premiers groupes Punk. A travers ce rapide historique, je vais vous montrer comment l'attitude Punk peut être lue comme une tentative de réponse à la Shoah par la génération de l'après-guerre.

Les Juifs ont pris une part significative dans l'histoire de la musique populaire américaine, j'ai moi-même évoqué Irving Berling dans un précédent numéro du Shofar. Si cette influence fut majeure, ce fut avant tout derrière la scène et non sur la scène, on trouve de nombreux compositeurs et paroliers Juifs. D'une certaine manière ils complètent l'importante présence juive dans l'industrie du spectacle américaine, que ce soit la comédie musicale, Georges Gershwin, ou le cinéma (MGM, Paramount, 20th Century Fox), mais on ne les trouve pas sur le devant mais seulement dans des rôles d'écriture ou de production, rarement en tant qu'acteurs, réalisateurs, musiciens ou chanteurs. Certains m'objecteront que l'on trouve de nombreux musiciens classiques Juifs, y compris de grands virtuoses, mais ils ne jouent pas une musique qui leur est personnelle. On trouve également de nombreux Juifs parmi les grands Jazzmen blancs comme Stan Getz et Dave Brubeck ; mais s'il existe une véritable histoire d'amour entre les Juifs et le Jazz, le Jazz demeure avant tout une musique afro-américaine.

Mais dès l'origine, des juifs s’associent au Rock'n Roll et injectèrent une rythmique de plus en plus sauvage. Certains des plus grands succès d'Elvis[2] sont signés Jerry Leiber et Mike Stoller (Don't, Hound dog, Jailhouse Rock, King Creole). De nombreux Juifs participent à la carrière des plus grands artistes comme Brian Epstein, le manager des Beatles et l'artisan de leur image jusqu'à sa mort prématurée en 1967, peu après la sortie de Sgt Peppers Lonely Heart Club Band, pour beaucoup le meilleur album pop-rock de tous les temps. Mais ici encore le talent Juif s'exprime dans l'ombre malgré les rumeurs infondées sur la judéité de Ringo Starr. Le plus important représentant de ces hommes de l'ombre a sans conteste été Phil Spector, le producteur d'innombrables tubes pendant plus de 15 ans et l'inventeur du wall of sound en particulier avec les Ronnettes (Be My Baby), et les Crystals (He's a Rebel) puis ponctuellement avec certains artistes comme Ike and Tina Turner (River Deep, Mountain High), les Beatles (l'album Let it Be), John Lennon (Imagine) ou les Ramones à la recherche d’un son plus sophistiqué dans l'album End of the Century.

On peut remarquer un premier virage au milieu des années 60; la british-invasion a révolutionné le son de la musique Pop aux États-Unis, et la chanson folk connaitra plusieurs grandes vedettes juives comme le duo Paul Simon et Art Garfunkel, Peter Yarrow de Peter, Paul and Mary, ou le trop tôt disparu Steve Goodman, le créateur de City of New Orleans qui deviendra Salut les Amoureux grâce à la voix de Joe Dassin en français et שלום לך ארץ נהדרת en hébreux grâce à celle de Yoram Gaon. Arlo Guthrie, le fils de Woodie Guthrie, non juif, inaugurera une vision plus engagée politiquement, en militant pour l'arrêt de l'intervention américaine au Viêt Nam avec Alice's restaurant. C'est cette vision plus militante du protest song qui séduira des artistes comme Bob Dylan et Léonard Cohen. Tous deux traverseront les décennies sans renier leur engagement et en continuant leur quête spirituelle. À ce titre, léonard Cohen est l'un des plus authentique jewbu, initié à la tradition bouddhiste, mais s'inspirant régulièrement des textes juifs (Who by fire, Hallelujah et The story of Isaac).

En 1969, le festival de Woodstock initié par quatre juifs[3] deviendra un paradigme du protest song, l'opposition à la guerre du Viet Nam sera le mot d'ordre récurrent du festival. Nombreuses seront les voix contestataires juives sur la scène du festival ; en plus de certains déjà cités ci-dessus, le plus vocal sera le 100% kasher Country Joe Mc Donald and the Fish et leur I-Feel-Like-I'm-Fixin'-to-Die Rag. Plusieurs autres formations, principalement de rock psychédélique, incluent des membres juifs (Grateful Dead : Mickey Hart, Jefferson Airplane : Jorma Kaukonen, Marty Balin, Jack Casady ; Mountain : Leslie West ; Canned Heat : Harvey Mandel, Larry Taylor ; Blood, Sweat and the Tears : Al Kooper).

Lors du festival, un groupe ne ressemble cependant à aucun autre ; Sha Na Na est principalement composé de nice jewish boys de New York qui se trémoussent frénétiquement sur des airs de rock'n roll des années 50 en arborant fièrement bananes et vestes en lamé or, et scandant les syllabes sans queue ni tête du do-wop. Il faut croire que de nombreux chemins mènent à la Torah puisque leur chanteur Alan Cooper est aujourd'hui provost et professeur de Bible au Jewish Thelological Seminary[4]. New York et le retour aux racines primitives du Rock'n Roll des années 50 sont importants car ils s'avéreront être des éléments fondateurs de l'éclosion du Punk.

Parallèlement à la musique contestataire, mais pacifiste, des hippies de Woodstock, certains appellent à une réaction beaucoup plus musclée et leur musique l'exprime directement. L'appel à la révolution vient de Detroit : "Kick out the jams" hurle MC5 (Wayne Kramer), alors que Iggy Pop[5] and the Stooges entrouvrent les portes du Punk avec des paroles dérangeantes ; I wanna be your dog se veut l'écho du sentiment d'exploitation de la classe ouvrière de Detroit, la ville de l'industrie automobile américaine. A partir de 1971 à New York l'énergie des MC5 et des Stooges se retrouvera dans l'aventure des New York Dolls, un groupe dont l'épopée peut se résumer au titre de leur second et dernier (jusqu'à leur réunion en 2004) album Too much too soon. Travestis, maquillés et perchés sur des bottes à plateau, la bande à Sylvain Sylvain, né Sylvain Mizrahi au Caire, et David Johansen, qui se considère comme un juif honoraire, ne peuvent prétendre à aucun succès commercial, mais ils libèrent une nouvelle manière de provoquer et d'attirer l'attention. Eux même ne se prennent pas au sérieux, mais leur exemple pose les bases du Glam Rock et de l'attitude Punk.

A New York encore, la Factory d'Andy Warhol est le lieu de toutes les expériences. La relation entre Andy Warhol et les juifs sera toujours empreinte d'une certaine ambiguïté, cristallisée au travers de l'exposition "Ten Portraits of Jews". Mais à New York, ville juive s'il en est, Andy Warhol sait composer avec cette difficulté, même s’il ne peut jamais s'en affranchir. D'ailleurs alors que la plupart de ses protégés de la Factory viennent du monde entier plutôt que de New York, Lou Reed, la figure marquante du Velvet Underground, le groupe fétiche de la Factory, est typiquement New Yorkais. Lou Reed est un poète maudit sur les traces d'auteurs comme Allen Ginsberg ou Hubert Selby Jr, non juif mais authentiquement New Yorkais. Les textes de Reed explorent des tréfonds jusqu'alors évités dans la chanson comme la drug culture (Heroïn), l'identité sexuelle (Walk on the wild side, Candy says), l'hôpital psychiatrique (Killing your sons), la violence domestique (Caroline says II, The Kids), la prostitution (Waiting for my man) et le suicide (The Bed). Lou Reed est un écorché vif, déraciné de ses parents à la suite des traitements par électrochocs qu'ils lui imposent pour le "soigner" de sa bisexualité et qui lui font perdre un partie de ses souvenirs d'enfance, déraciné des générations précédentes par l'immigration aux Etats-Unis et le changement de nom de sa famille de Rabinowitz en Reed.

Lorsqu’Andy Warhol impose la participation de Nico, née Christa Päffgen en 1938, à ses protégés du Velvet pour leur premier album, Velvet Underground featuring Nico, il sait qu'il réalise une alchimie instable. A côté de Lou Reed, le petit Juif chétif, Nico est la Valkyrie immense, blonde aux yeux bleus. Le commentaire pourrait s’arrêter là si Nico n’était pas aussi marquée par son enfance et la guerre ; Nico passe la guerre à Berlin, son père s’engage tôt dans l’armée allemande mais mourra dans un camp. Nico raconte aussi qu’elle a été violée à 15 ans par un soldat américain qui sera condamné et exécuté. Vérité ou affabulation, la sexualité sera pour elle indissociable d’une expression de souffrance et de punition, et sa propre beauté lui deviendra de plus en plus insupportable.

D’une manière différente mais obsédante, Lou Reed est lui aussi hanté par des fantômes de la guerre et de la Shoah, des image qui apparaissent comme des flash au détour d’un vers "And all the dead bodies piled up in mounds" (Heroin), "Sacrificials remains make it hard to forget / Where you come from" (The Black Angel's Death Song), "You killed your European son" (European Son), ou la description d’un expérience médicale perverse dans Lady Godiva's operation.

La liaison de Nico et Lou Reed est condamnée par avance, Lou est sincèrement amoureux et fasciné (Pale blue eyes) mais il la maltraite ouvertement en public, jusqu’au jour où Nico lâche froidement "I cannot make love to Jews anymore". Si cette liaison est éphémère, deux autres "couples mixtes" animeront la scène du CBGB[6] et les débuts du Punk à partir de 1974. Le premier est Blondie, que l’on associe souvent à sa chanteuse, mais qui est en fait le nom du groupe mené par Chris Stein et Debbie Harry, la shiksa goddess. Stein est l’architecte, il se cache derrière le charisme de sa compagne Debbie. Mais l’ex-Playboy bunny n’est pas qu’une image, malgré son gabarit poupée Barbie, elle est une des premières à incarner une femme authentiquement rock dans un milieu encore très masculin. Le second est formé par Lenny Kaye et Patti Smith, deux authentiques intellectuels, plus inspirés au début par la plume que par les guitares. Patti est le contraire de Debbie, sans glam ni bling, et au look androgyne, ce sont ses textes qui accrochent l’audience avant tout. Lenny Kaye sera à la fois acteur, historien et archiviste de la musique Punk américaine, et il produira de nombreuses compilations du mouvement garage des années 60s. Elevée dans la rigueur par une mère témoin de Jehovah, Patti Smith rejette toute religion constituée, mais Kaye n’est probablement pas complétement innocent dans la réécriture du Gloria des Them qui ouvre leur premier album Horses par "Jesus died for somebody's sins, but not mine".

Pour compléter le minyan sur la scène du CBGB de l’époque, il y a entre autre Suicide, les Dictators et les Ramones. Suicide n’est qu’un duo, Martin Rev et Alan Vega. Ils tournent depuis déjà quelques années et la paternité du mot "Punk" leur revient. A deux, leur musique est minimaliste et ils utilisent les premiers instruments électroniques programmables, synthétiseurs et boîtes à rythme. Leurs prestations scéniques sont des happenings où ils provoquent ouvertement l’audience, souvent au détriment de leur propre sécurité et de leur santé.

Dans un registre plus proche de la farce, les Dictators sont tous juifs, mais ils cultivent une image de gang made in Italy. La supercherie fonctionne et l’image de "durs" des Dictators fera partie de leur légende. Pourtant, en y regardant de plus près, et avec le recul de quelques années, le second degré de leur attitude transparaît clairement dans les textes "We're the members of the master race / Got no style, and we got no grace" (Master Race Rock), "They didn't know we were Jews" (The next Big Thing), si non dans le nom du groupe même.

Le déguisement de l’identité est aussi la marque de fabrique des Ramones. Ils poussent le raffinement en adoptant un uniforme, jean serré, baskets blanches, T-shirt et blouson en cuir noir, ainsi qu’un seul patronyme, faisant d’eux une bande de brothers latino. Tommy Ramone est né Tamas Ederlyi à Budapest en 1949, ses parents ont perdu la quasi-totalité de leur famille pendant la Shoah, et ils émigrent aux Etats-Unis en 1956 à la suite de l’invasion soviétique. C’est ce fils de survivants qui construira l’image des Ramones ; pour Tommy masquer l’identité juive est peut-être une nécessité inconsciente, mais vitale, alors que pour Joey Ramone, né Jeffry Hyman et qui a grandi à New York, il s’agit sans doute plus de se présenter comme des tough guys, à l’image des Dictators. L’idée du changement de nom vient de Dee Dee Ramone, peut-être parce lui-même n’a pas d’identité claire. Son père est un soldat américain basé en Allemagne, sa mère est Allemande, il a grandi à Berlin mais vit à New York ; mais non juif, contrairement à Tommy, l'autre exilé, il ne sait à quoi se raccrocher. Dee Dee oscille donc entre l’amour et la haine pour les Juifs qui l’entourent et sa fascination pour l’imagerie Nazi. Cette ambivalence devient explicite dans des paroles dont on ne sait plus à quel degré les lire quand Dee Dee et Tommy collaborent pour écrire : "First rule is: The laws of Germany / Second rule is: Be nice to mommy / Third rule is: Don't talk to commies / Fourth rule is: Eat kosher salamis" (Commando).

Le besoin de se déguiser et de se grimer trouvera son paroxysme avec Kiss, un groupe de Hard / Glam rock. Paul Stanley et Gene Simmons, Israélo-Américain et enfant de survivants Hongrois, se cachent derrière des maquillages complexes et outranciers, mais ils deviennent sur scène des super-héros crachant des flammes, leurs aventures finiront même par être éditées en bandes dessinées, en comics. Ils perpétuent ainsi la tradition des nombreux auteurs de comics Juifs, qui envoient leur superhéros combattre les Nazis, comme Superman pendant la guerre, et peut-être rêver de "réparer" la Shoah.

L'aventure Punk, et surtout l'influence de l'expérience de la Shoah pourrait paraître n'être qu'une spécificité de New York. Pourtant deux marques de fabrique du Punk viennent d'ailleurs. Richard Hell vient du Kentucky d'une famille d'universitaires. Comme Patti Smith, il s'intéresse plus à l'écriture et à la poésie qu'à la musique. Pourtant avec Television, et surtout avec les Voidoids, il sera le premier à utiliser l'épingle à nourrice comme accessoire de mode. C'est aussi lui qui posera l'attitude désabusée vis-à-vis de l'avenir dans Blank Generation, une forme de nihilisme dont le nom du groupe, les Voidoids, se fait l'écho. En Angleterre, cela deviendra le moto "No Future". Un visiteur britannique a observé l'éclosion du Punk au CBGB et la posture de Richard Hell. Après une expérience ratée pour manager les New York Dolls, minés par trop d'histoires de drogue, Malcolm McLaren repart pour l'Angleterre. A Londres, l'attitude est déjà là, Marc Bolan a fait de T. Rex une alternative soft et British des New York Dolls.

D'origine sépharade, McLaren s'occupe d'abord de mode, et il met en vente tout l'attirail qu'il a repéré à New York, des lamés des Dolls aux épingles à nourrice de Hell, et aux cuirs noirs aux accents BDSM de Reed dans sa boutique Sex avec son épouse Vivienne Westwood, non juive, et son assistant Bernie Rhodes qui deviendra plus tard le manager des Clash. Parmi les habitués de Sex, McLaren recrute les membres des Sex Pistols, un groupe créé de toutes pièces. John Simon Ritchie, dit Sid Vicious, n'est pas le meilleur des musiciens, mais son attitude provocatrice et autodestructive incarnera un certain absolu romantique du Punk. Sid est le premier à arborer régulièrement un svastika sur son Tshirt. Cette attitude de provocation sans limites est encouragée par McLaren avide de buzz et par sa petite amie Nancy Spungen. Sid n'est pas juif, mais Nancy est une authentique JAP, Jewish American Princess, groupie et capricieuse. Nancy sera la muse mais aussi la Némésis de Vicious. Tous deux dévorés par la drogue, Sid et Nancy mourront moins de deux ans après, Nancy probablement assassinée par un Sid en délire narcotique, Sid d'une overdose quelque temps après.

Alors que le Punk était jusqu'alors libertaire ou apolitique, mais particulièrement tolérant, l'attitude de Vicious créera une confusion qui autorisera la naissance d'une version extrême droite du Punk. Le grand public sera tenté d'assimiler le Punk à cette tendance alors que le message général du Punk sera dorénavant encore plus marqué à gauche et anticapitaliste en Angleterre avec les Clash, ou aux USA avec les Dead Kennedys qui mettront les points sur les i avec Nazi Punks Fuck Off! Dans le même temps on peut remarquer qu'en Europe aussi, de nombreux musiciens ont des origines juives et souvent une histoire familiale marquée par la Shoah. C'est le cas de Keith Levene[7], Joe Strummer et Mick Jones qui forment les Clash, ou de Marianne Faithfull, l'ex égérie des Rolling Stones qui revient en 1979 avec Broken English un album à l'attitude Punk et qui annonce le virage vers la New Wave.

Pourtant en Europe, il ne semble pas possible de faire ouvertement des références à la Guerre ou la Shoah ; lorsque les Clash expriment leur crainte d'un holocauste, il s'agit d'un holocauste nucléaire vers lequel pourrait déboucher la guerre froide, ou des conséquences possibles d'un accident à l'image de celui de Three Miles Island quelques mois avant l'enregistrement de London Calling.

En 1982, ils sont le premier groupe Européen à utiliser un mot yid dans un hit populaire : "he thinks it's not kosher!" clame Mick Jones dans Rock the Casbah. Le clip de la chanson est encore plus improbable et nous montre un arabe et un hassid en virée dans une espèce de road movie au rabais.

Sur le continent aussi on peut remarquer cette spécificité juive. Nina Hagen nait et grandit Allemagne de l'Est où enfant, elle est remarquée pour ses talents lyriques. Sa mère et elle parviennent à quitter l'Est en 1976. Elle fréquente alors les milieux Punk de Londres, les Sex Pistols et les Slits, puis devient la grande prêtresse du Punk féminin en Europe et atteint une célébrité planétaire. En 1975 en France, le vrai Punk est Serge Gainsbourg qui sort l'album Rock Around the Bunker. C'est le plus rock des disques de Gainsbourg avec des arrangements inspirés des années 50, peut-être dans ce sens le plus Punk également. Si Rock Around the Bunker est un flop commercial, c'est parque Gainsbourg ose du jamais entendu. "On va dans danser le Nazi rock" (Nazi Rock) nous invite-t-il sur le premier titre qui évoque la nuit des long couteaux. Mais Gainsbourg persiste et signe, c'est un album concept dont toutes les chansons évoquent les Nazis et la Shoah de manière plus ou moins ubuesque, "J'ai gagné la yellow star, Et sur cette yellow star, Inscrit sur fond jaune vif, Y'a un curieux hiéroglyphe" (Yellow Star), usant et abusant à son habitude de jeux de mots, de doubles sens et d'allitérations évoquant le double S "Sont-ce qu'insensés assassins ? Est-ce ainsi qu'assassins s'associent ?" (Est-Ce Est-Ce Si Bon?).

La France et la francophonie sont peu souvent à l'avant-garde du Rock, malgré les efforts de Marc Zermati pour lancer le Punk au Festival Punk Européen de Mont de Marsan en 1976 et 77. Mais le début des années 80s voit tout un lot d'artistes qui se feront remarquer par une New Wave à la touche typiquement française. C'est le cas d'Indochine avec les frère Nicolas et Stéphane Sirkis, de Taxi Girl avec Daniel Darc, de Catherine Ringer des Rita Mitsouko et de Sapho. Sapho est un cas peu ordinaire car elle revendique ouvertement ses origines Juives marocaines et son positionnement Punk dans ses deux premiers albums. Par la suite, elle sera spécialement remarquable par son inspiration arabo-andalouse. D'un autre côté, les Rita Mitsouko font partie des rares artistes à évoquer directement la Shoah dans leur chansons, comme dans Le Petit Train en 1988, et C'était un Homme en 2000 à la mémoire du père de Catherine Ringer, Sam Ringer, déporté et survivant des camps.

Les dates ont leur importance, surtout lorsque l'on compare ces dernières chansons des Rita Mitsouko avec Rock Around the Bunker de Gainsbourg en 1975, contemporains des premiers Punk américains. A cette époque, il n'existait pas encore de vocabulaire et de référence pour parler de la spécificité de la Shoah au grand public. Pendant les années 70, la compréhension des événements était encore un débat d'historiens et de spécialistes. C'est la série télévisée Holocauste en 1978 qui donna une première perception au non spécialiste. Le film de Claude Lanzmann, Shoah, sorti en 1985 fut aussi un élément clef, car même si sa diffusion a été plus limitée, c'est lui qui fit prendre conscience de l'inadéquation du mot Holocauste en dehors d'Israël et de la spécificité de l'événement. Lorsque Lanzmann commença à travailler sur son film, onze ans plus tôt en 1974, la plupart ne possédaient donc pas encore les outils intellectuels pour parler de la Guerre et de la Shoah. Lorsque la génération de l'après-guerre, les Dictators, les Ramones ou les Clash, ou ceux qui avaient traversé cette époque enfant comme Nico ou Serge Gainsbourg, évoquaient les interrogations que leur pose la Guerre et la Shoah, ils le faisaient bien sûr de manières différentes, mais ils le faisaient tous comme des artistes explorant un domaine en friche, sans vocabulaire ni références préalables.

L'énergie et la tentation nihiliste du Punk sont probablement le résultat de l'impossibilité de dire le traumatisme de la Shoah. Ils sont aussi une manière de clamer Am Yisraël Haï, le peuple d'Israël vit, tout en s'interrogeant sur l'avenir possible de l'humanité après la révélation sur la capacité au mal que possède cette même humanité ; d'où une certaine fascination pour le bourreau Nazi, ou plutôt la stupeur de celui qui voit et ne parvient pas à comprendre ni même à intégrer une réalité. Le Punk n'est pas le mouvement dans lequel se sont reconnu des musiciens Juifs, il est avant tout la forme que ces musiciens ont trouvé pour exprimer une expérience qui leur était propre, en particulier pendant les années 70s et le début des années 80s.

Aujourd'hui le Punk juif n'a pourtant pas disparu alors qu'il n'y a plus la même urgence pour parler de la Shoah et qu'elle peut être évoquée de manière plus directe. Le Punk s'est mâtiné de fusion, dans le monde Juif c'est souvent avec le Klezmer comme les Klezmatics, John Zorn ou le parodique Push the Button des Teapacks qui représentaient Israël à l'eurovision en 2007. Aujourd'hui ce punk clame sa judéité avec des groupes au nom explicite comme les Shondes, ou Yidcore, encore des heures d'écoute en perspective "Hey! Ho! Let's Go!".

Rabbin Marc Neiger
Retrouvez les artistes et chansons évoqués sur
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Cet article a paru dans le Shofar N°345 Juin 2013

Beeber, Steven Lee. The Heebie-Jeebies at CBGB’s: A Secret History of Jewish Punk. Chicago Review Press, 2006.

Lens, Jenny. “Jewish Punks, 1976-80.” Accessed November 25, 2009. http://jennylens.com/jewish-punks-1976-80.

Stratton, Jon. “Jews, Punk and the Holocaust: From the Velvet Underground to the Ramones – the Jewish-American Story.” Popular Music 24, no. 1 (January 2005): 79–105.

 

[1] Qui est Juif ? Ou plus précisément qui ai-je considéré comme Juif pour cette recherche. Il ne s'agit pas d'une réponse halakhique ou même religieuse mais culturelle. J'ai donc considéré comme Juif des artistes qui avait au moins un parent Juif, voire occasionnellement seulement un grand parent Juif, et ceci indépendamment de leur croyance. Tous les artistes mentionnés dans l'article sont juifs selon cette définition, sauf quand le texte ou une note indique le contraire ; cela ne concerne pas les groupes, dont les membres juifs sont indiqués si besoin. Comment savoir qui est juif ? Il n'est pas acceptable de se baser sur le nom ou des rumeurs ; malheureusement lorsque l'on recherche sur Internet à savoir si quelqu'un est Juif, on tombe sur d'innombrables sites nauséabonds affirmant qu'untel ou untel est Juif à tort ou à raison mais toujours suintant la haine ; il n'est pas possible d'utiliser de telles références. Certains artistes américains n'ont pas de réticences, surtout après avoir acquis une certaine notoriété, à dévoiler leur origines familiales dans des interviews ou dans leurs biographies ; ces informations sont relativement fiables sur les sites de journaux ou de blogs spécialisés sur la musique, ainsi que sur Wikipedia en Anglais qui est assez friande de détails biographiques. C'est par contre beaucoup plus difficile pour les artistes européens et la plupart ne donnent aucune indication. Toutes les informations que j'ai utilisées viennent de sources référencées mais leur nature même fait que des erreurs auraient pu s'insinuer et je m'en excuse par avance (merci de me le signaler et de m'aider à compléter ma documentation).

[2] Non, le King n'est pas juif.

[3] Michael Lang, John Roberts, Joel Rosenman, et Artie Kornfeld.

[4] Le séminaire rabbinique du mouvement Conservative à New York.

[5] Malgré son nom, Iggy Pop né James Newell Osterberg, ni aucun des Stooges, n'est Juif, mais son épouse de l'époque l'est. Aussi le nom même des Stooges renvoie aux Three Stooges, un trio comique qui exerça pendant presque 40 ans au cinéma et à la télévision américaine et resta complètement et typiquement juif, malgré plusieurs changements dans l'équipe. De l'autre côté du val, Paul Westerberg, le leader des Replacements est Juif.

[6] Le CBGB est un club de New York créé par Hillel "Hilly" Kristal et qui sera le point central de la scène punk de New York.

[7] Keith Levene quittera rapidement les Clash pour fonder Public image Ltd avec John Lyndon, ex Johnny Rotten des Sex Pistols.