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"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel

Hillel

Hillel est un sage des années qui précèdent l'ère chrétienne, un contemporain du roi Hérode et de Jésus. A part les propos qui lui sont attribués et sont rapportés en son nom dans le Talmud, nous ne savons pas grand chose de sa vie, entourée d'un halo de légendes Son nom, Hillel, signifie celui qui loue, celui qui exalte. Le qualificatif d'ancien lui est accolé, "Hillel Hazaken". C'est une référence, non pas tant à son âge, bien qu'on lui attribue une longue vie, plus de 80 ans, mais à sa sagesse et au respect dont il était entouré.

Originaire de Babylone, Hillel était venu à Jérusalem compléter son savoir. Il fut le disciple de deux grands maîtres, Chemaya et Avtalyon, qui étaient plus aimés que le grand prêtre de l'époque. Quand ils sortaient ensemble du temple après le service de Yom Kippour, c'est eux que la foule suivait, et non pas le cohen gadol, nous apprend le Talmud.

La génération de Hillel fut la dernière où les sages étaient mentionnés par deux, les "zougot", les couples. Le premier étant, d'après la tradition, le "nassi", président du sanhédrin, et le second, le "av Bet Din", président du tribunal. Ainsi, le nom de Hillel est toujours associé à celui d'un autre sage, Shammaï. Les deux personnages sont en opposition quasi constante, d'abord par leur caractère, et ensuite par leur approche de la Halakhah, de la Loi. Hillel, c'est l'homme patient, affable, avec une grande capacité d'accueil et d'humanité. L'image qui nous est donnée de Shammaï, par contre, est celle d'un homme irascible, sévère, strict et rigoureux, sinon rigoriste.

"Soyez doux comme Hillel et point vif comme Shammaï" (Chabbat 30b). Ce dire de nos rabbis illustre l'opposition de caractère entre les deux hommes.

D'innombrables prises de position confirmeront cette différence. Les décisions de Hillel emporteront le plus souvent l'adhésion. Cependant les rabbis proclameront que les paroles de l'un et de l'autre, de Hillel et de Shammaï – comme celles des écoles qui leur succéderont – sont "paroles du Dieu vivant": "Elou ve'elou divré Elohim hayim". Car les deux cherchaient sincèrement un chemin de vérité. Ils traduisent chacun sa propre vision, sa propre conception du monde et de l'homme, et les deux sont compréhensibles. D'ailleurs les deux attitudes seront toujours mentionnées et au nom de leurs auteurs.

La vision plus confiante et plus optimiste de Hillel et celle plus méfiante et plus rigoriste de Shamaï.

C'est que nos sages ont compris que c'est dans la tension permanente entre amour et charité, entre humanité et rigueur que doit se situer la Loi. Leur contestation restera comme un modèle de la contestation positive, "makhloket lechem chamayim", car sincère et désintéressée. Ce n'est pas tant l'indulgence qui caractérise Hillel, mais plutôt la compréhension, la compassion, l'aptitude à s'identifier au prochain et à résoudre ses problèmes en essayant, autant que faire se peut, d'éviter de tomber dans le juridisme. "Ne juge pas ton prochain avant de te trouver à sa place" (Avot 2.5).

Un autre enseignement connu de Hillel traduit avec intelligence la tension entre l'individualisme et la communauté: "Si je ne suis pas pour moi, qui le sera? Et si je ne suis que pour moi, que suis-je? Et si ce n'est pas maintenant, quand?" (Avot 1.14).

Hillel soulignait l'importance de la communauté: "Ne te sépare pas du peuple et de la communauté" (Avot 1.5). En effet, les peroushim dont il était, ceux que nous appelons les pharisiens par opposition aux saducéens, plus aristocrates et conservateurs, avaient une beaucoup plus grande assise populaire. Hillel était un homme de paix, il enseignait: soyez parmi les disciples d'Aharon qui aimait la paix et la recherchait, qui aimait les créatures et les rapprochait de la Torah (Avot 1.12). Il était persuadé que l'amour et le respect du prochain, Juif ou non, et l'étude augmentent la paix.

Parmi les takanot de Hillel, ses réformes, il y en a une, remarquable, que l'on appelle le "prozbul". Dans les lois de la septième année - l'année shabbatique - qui traduisent une vertigineuse utopie dans la volonté de libération et d'égalité, certaines étaient appliquées sans trop de problèmes, comme celle du repos de la terre la septième année (Ex. 23.10 et Lév. 25.2-7). Celle de la rémission des dettes, par contre (Deut. 15.1-11) était beaucoup plus problématique.

Les créanciers ne prêtaient plus à ceux qui étaient dans le besoin à l'approche de la septième année, par peur de ne pas récupérer leurs créances. L'avertissement de la Torah " N'endurcit pas ton cœur et ne ferme pas ta main à ton prochain dans la misère. Ouvre, ouvre ta main et soutiens-le selon son besoin. Garde-toi de nourrir en ton cœur une pensée mauvaise et de dire la septième année de rémission approche… et d'être sans pitié et de refuser ton secours" (Deut. 15.9-10) était ignoré et la pauvreté augmentait.

Hillel prit la décision que le tribunal pourrait récupérer la dette. Cette décision, qui contredisait si ouvertement une parole de la Torah, parut bien plus tard d'une incroyable audace aux rabbins de Babylone et certains le critiquèrent.

Par beaucoup d'aspects de son approche du judaïsme, Hillel fut un véritable réformateur et certains y ont vu un lointain ancêtre de Mendelssohn (1729-1786), l'initiateur de la Haskala, le mouvement des Lumières juives, mouvement qui allait travailler à l'intégration des Juifs dans la société occidentale, sans renoncer à leur identité ou à leur religion.

La douceur de Hillel

Deux hommes avaient parié à qui mettrait Hillel en colère: l'enjeu était de quatre cents zuzim. L'un d'eux se rendit la veille d'un sabbat chez Hillel, qui justement se coiffait. Il frappe à la porte et demande:
- "Hillel est-il chez lui ?" 
Le sage s'enveloppe dans son manteau et va au-devant de lui, et lui dit:
- "Quel est ton désir, mon fils ?"
-
 "J'ai, répond l'autre, une question à te faire."
-
 "Fais-la, mon fils."
- "Pourquoi les Babyloniens ont-ils la tête plate ?"
- "Voilà, mon fils, une question importante, répond Hillel: c'est parce qu'ils n'ont pas d'habiles sages-femmes."
L'homme s'en va, revient une heure après et crie:
- "Hillel est-il chez lui ? Hillel est-il chez lui ?"
Le sage s'habille précipitamment, vient au-devant de lui et lui dit:    
- "Que désires-tu, mon fils ?"
- "J'ai, répond l'homme, une question à te faire."
-  "Fais"."
- "Pourquoi les habitants de Thadmore ont-ils des yeux troubles ?"    
- "Tu poses là une question importante, mon fils: c'est parce qu'ils habitent une contrée sablonneuse."
Le questionneur se retire, revient une heure plus tard, et crie de nouveau:
- "Hillel est-il chez lui ? Hillel est-il chez lui ?"
Le sage se drape dans son manteau, vient au-devant de lui et dit:  
- "Quel est ton désir, mon fils ?"
- "J'ai une question à te faire."
- "Fais."
- "Pourquoi les Africains ont-ils de grands pieds ?"
- "Voilà, répond Hillel, une question fort grave: c'est parce qu'ils habitent une contrée marécageuse."
- "J'aurais, repartit l'homme, beaucoup d'autres questions à te poser encore; mais je craindrais de t'irriter."
- "Toutes les questions que tu as encore à faire, répond Hillel, je demande à les entendre."
Alors l'autre lui dit:
- "Es-tu bien ce Hillel, que ceux d'Israël nomment prince ?"
– "Oui."
– "Je ne leur en souhaite pas beaucoup comme toi."
– "Et pourquoi donc ?"
– "Parce que tu m'as fait perdre quatre cents zuzim." (Chabbat 31a).

L'école de Hillel et l'Ecole de Shamaï

Les rabbis ont enseigné: "Soyez doux comme Hillel, et non point violents comme Shammaï."
Un idolâtre vint devant Shammaï et lui demanda:
- "Combien de sortes de lois avez-vous ?"
- "Deux, fut la réponse; l'une écrite et l'autre orale." 

- "J'accepte la première, reprit le païen, mais je refuse l'autre. Reçois-moi dans le judaïsme, à cette condition que tu ne m'enseigneras que la loi écrite."
Shammaï l'injuria et le congédia avec une semonce.
L'idolâtre se rendit chez Hillel, avec le même vœu. Le maître acquiesça. Le premier jour il lui enseigna l'ABC, le deuxième jour, il recommença, mais dans un ordre différent.
- "Mais tu me l'as appris hier, dans un autre ordre" dit le païen. 
- "Tu t'es donc fié à moi ? dit Hillel. N'était-ce pas te fier à la loi orale ?".
Un autre païen vint devant Shammaï et lui dit:
- "Je me ferai juif, mais il faut que tu m'enseignes toute la Loi, pendant que je me tiendrai sur un seul pied."
Shammaï le renvoya, en le frappant de la règle qu'il tenait en sa main.
L'idolâtre s'adressa ensuite à Hillel, avec le même souhait; et le maître lui dit:
- "Ce que tu n'aimes pas qu'on te fasse ne le fais pas à autrui. C'est toute la Loi; le reste n'est que commentaire: va et apprends le."
(Chabbat 30a)

Rabbi Abraham Dahan