Accueil

"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel

Mitzvot

Note : cette page reflète les positions historiques de la communauté et ne correspond souvent plus à sa position contemporaine. Elle permet une mise en perspective après plus de 50 années d'affirmation du judaïsme libéral en Belgique.

Car le commandement est une lampe et la Torah de la lumière (Prov. 6.23)

On ne peut aborder le judaïsme sans parler, d’abord, de ce qui le caractérise le plus, les innombrables commandements: les Mitzvot. Le judaïsme est prescriptif. Dans tous les domaines de nos vies, dans toutes leurs manifestations, le commandement religieux, moral ou rituel, s’inscrit comme un appel et un rappel: 

Ce livre de la doctrine ne quittera pas ta bouche, tu le méditeras jour et nuit, afin d’en observer avec soin le contenu (Josué 1:8).

Ces paroles-là, mettez les sur votre cœur, qu’elles nourrissent votre être. Attachez-les comme signe sur votre bras et comme fronteau entre vos yeux. Vous les enseignerez à vos enfants, vous en parlerez dans vos maisons... Ecris-les sur les linteaux de ta maison et sur tes portes. (Deuteronome 11:18)

Cela formera pour vous des franges, dont la vue vous rappellera tous les commandements de Dieu, vous les accomplirez et ne vous laisserez pas entraîner par votre cœur et vos yeux, derrière lesquels vous vous prostituez. Vous vous rappellerez ainsi et vous ferez tous mes commandements, et vous serez saints pour votre Dieu.  (Nombres 15:38) (à propos des tzitzit)

Le commandement est partout:

Le temps: le shabbat vient rompre la succession des jours et un jour différent s’éclaire d’une autre lumière.

L’espace: les lois de la terre. La terre vit comme l’homme, des lois la régissent, et elle a son shabbat tous les sept ans, l’année shabbatique, le jubilé, les lois sur les semences, les dîmes...

La maison: la mezouzah, un livre de rappel à l’entrée de chaque porte.

La table: les lois alimentaires.

Le corps: la circoncision.

L’âme: la prière et l’étude, qui en sont la nourriture.

L’action et la pensée: les tefilin.

Le vêtement: le talit.

La relation homme-femme: les lois, si belles, de pureté familiale.

La relation au prochain: au cœur de toute la Torah, et dans les Dix Commandements, six concernent le prochain.

La tradition dénombre 613 commandements qui sont soit d’origine biblique, mideorayta, soit rabbinique, miderabbanan. 365 commandements - comme le nombre des jours de l’année - sont négatifs, et 248 - correspondant aux membres du corps humain - sont positifs. (Talmud, Makot 23) 

Le symbolisme est évident. Rien n’est neutre, rien n’est vide. Aucun acte, aucune chose ne sont enfermés en eux-mêmes sans répercussion et sans lien avec l’Ultime.

Y a-t-il une signification aux commandements ?

Le commandement apparaît d’abord comme la conscience d’un lien et comme signe (Oth). Signe concret entre le créateur qui prescrit et Israël qui reçoit et donne vie à la prescription: « Entre moi et les enfants d’Israël, c’est un signe pour l’éternité ». (Exode 31:17) Les rabbis ne manquent pas de relever que l’expression « entre moi et toi » dit une relation intime, traduit l’amour.

Il arrive que la Torah ne donne pas de motif en ce qui concerne certains commandements. Cela a conduit quelques exégètes bibliques à conclure qu’il est inutile de chercher la signification et que le but des mitzvot c’est d’inculquer une obéissance aveugle. Si je pratique la mitzvah en vue d’une utilité quelconque, c’est, qu’à travers elle je sers ma personne et non le créateur. Cette approche ne nous paraît pas acceptable. Nous savons combien la tradition juive invite au questionnement, et même à la remise en question. Le foisonnement de la littérature rabbinique, talmud, midrach et commentaires, en est l’expression la plus éclatante. Nombreux sont les maîtres qui rejettent l’approche irrationnelle d’une obéissance qui se suffirait à elle-même. D’ailleurs, les prophètes blâment ceux qui pratiquent automatiquement, sans se préoccuper du sens (Isaïe 29.13), et les rabbis insistent sur le fait que la pratique a d’autant plus de valeur qu’il y a compréhension et intention, kavanah. D’où les innombrables bénédictions qui accompagnent l’accomplissement de beaucoup de commandements: « Béni sois-tu Eternel, notre Dieu, maître de l’univers, qui nous sanctifies par tes commandements et nous a prescrit de ... »

La Torah, dans beaucoup de cas, donne une raison aux commandements. Pour ceux, dont le motif n’est pas explicité, c’est un devoir de chercher à comprendre, tout en sachant qu’aucune explication n’épuise le sens. Si le commandement est divin, il n’y a pas de fin à l’interprétation, et une autre génération l’éclairera un jour d’un autre rayon.

Mais encore, nous savons que la compréhension ne garantit pas la pratique, même si elle peut y mener et que la non-compréhension ne dispense pas de la mitsva, car, un jour le cœur guidera la main; « applique-toi à la pratique des mitsvot et à l’étude, si au début tu t’y appliques pour des motifs vides, tu finiras par le faire pour la mitsva elle-même ». (Pes. 50b)

Le Pirké Avot rappelle qu’une mitsva incite à une autre mitsva et que sa récompense est dans son accomplissement: « Il ne faut pas servir le maître dans l’intention d’une récompense » (Pirké Avot 1.3). Mais il y a, dans l’accomplissement, une joie et une récompense.

L’image adéquate est celle du sculpteur qui, patiemment, avec son ciseau et son marteau, travaille la dure matière, et lentement, de la masse informe, émergera la forme splendide. Ainsi en est-il des commandements, ils sont l’outil qui sculpte les têtes et les cœurs d’un vieux peuple, génération après génération, pour éclairer toujours plus loin un rayon de Dieu pour les hommes.

Midrachim

Le cheval fou

Celui pour lequel l’action prime sur la théorie, ressemble à quelqu’un, monté sur un cheval qui a un mors aux dents. Il tient les rennes et dirige son cheval où il veut.

Celui dont la théorie prime sur l’action, est comme un cavalier dont le cheval ne peut pas être dirigé. C’est alors la chute et la blessure. (Abot Rabbi Nathan 56b-34)

Etudier, enseigner et mettre en pratique

Rabbi Ichmaël, fils de rabbi Yohanan; « Celui qui apprend dans l’intention d’enseigner pourra voir s’ouvrir devant lui les deux possibilités. Celui qui étudie afin de mettre en pratique, de donner vie au commandement se verra accorder l’étude, l’enseignement et la mise en pratique. » (Pirké Avot 4)

Science sans conscience

Rav Huna: « celui qui ne s’occupe que de l’étude de la Torah ressemble à quelqu’un qui est sans dieu. » (Avoda Zara 17b)

L’étude et la vie

Celui qui prétend n’avoir que la Torah n’a pas de Torah. (Yebamot 109b)

Rabbi Yanay: la Torah, sans la conscience, c’est comme faire la porte alors qu’on n’a pas de maison. (Shabbat 31b)

Ce n’est pas la théorie qui est l’essentielle, mais l’action. (Pirké Avot 1)

L’homme et le temps

Rabbi Abba: 248 commandements positifs sont dans la Torah et ils correspondent aux 248 membres que compte le corps humain. Chaque membre crie à son propriétaire: utilise-moi pour accomplir un commandement!

Et 365 commandements négatifs, comme les jours de l’année. Du lever du soleil à son coucher, chaque journée interpelle chaque homme: je te conjure par celui qui t’a fait atteindre ce jour, de ne pas me souiller par un acte répréhensible. (Tanhouma, Kitetsé)

Signes d’amour

Précieux sont les enfants d’Israël. C’est pourquoi le Saint béni soit-il les a entourés de mitsvot. Tefilin à la tête et au bras, deux; tsitsit aux quatre coins du vêtement, quatre.

La mezouzah à la porte.

C’est ce qu’exprime David dans le verset « sept fois chaque jour je te chante pour la droiture de tes jugements. (Menahot 43b)

Rayon de vie

Les ossements desséchés, dont parle le prophète Ezéchiel (chap. 37), ce sont les hommes que n’éclaire pas la grâce des mitsvot. (Sanhédrin 92b)

« Car l’âme de l’homme est une lumière de Dieu » (Proverbes 20). Le Saint béni soit-il dit: tu as en main ma lumière et j’ai la tienne entre mes mains. Or, la lumière du Saint béni soit-il, c’est la Torah, dont il est dit: la Torah est une lumière et le commandement est une lampe. (Prov.  6).

Que veut dire « le commandement est une lampe »? Celui qui accomplit une mitsva, allume une lampe devant le Saint béni soit-il et par là même augmente la vie, car l’âme c’est cette lumière même. (Chemot Rabba 36).

Rabbi Shimon: les commandements qui s’acceptent dans la joie s’accomplissent dans la joie (Shabbat 130a)

Rabbi Yitzhak: pourquoi la Torah n’a-t-elle pas dévoilé les raisons des commandements? Nous avons deux cas où le motif a été donné et cela n’a pas empêché un grand du monde de trébucher.

Il est écrit: « qu’Il ne multiplie pas les femmes afin que son cœur ne dévie pas » (Deuteronome 17:17). Et, d’autre part, « qu’Il n’ait pas trop de chevaux afin de ne pas ramener le peuple en Egypte » (Deuteronome 17:16)

Et, dans les deux cas, Salomon le sage a transgressé les commandements. (Sanhédrin 21b)  

Plus grand est celui qui pratique par amour que celui qui le fait par crainte. (Sota 31a)

La splendeur d’une mitsva, c’est la discrétion. (Dereh Eretz Zuta 5)

Il faut choisir.

Celui qui adopte la voie de la rigueur en tout et choisit de pratiquer les décisions les plus rigoureuses de Beth Hillel et de Beth Shamaï, est comparable à « un ignorant qui marche dans les ténèbres ».

Celui qui choisirait la voie la plus facile chez les deux maîtres, Shamaï et Hillel, est un impie.

Il faut marcher dans un chemin ou dans l’autre. Soit Shamaï, soit Hillel. (Tos. Yeb. 1)

Rabbi Yanai dit: 613 commandements furent révélés à Moïse sur le mont Sinaï. Vint David, qui les réduisit à 11: « Eternel, qui séjournera dans ta Maison? Celui qui marche intègre, pratique la justice, dit la vérité de tout son cœur; qui n’a pas de calomnie sur la langue, ne fait aucun mal à son semblable et ne profère point d’outrage contre son prochain; celui qui tient pour méprisables ceux qui méritent le mépris, mais honore ceux qui révèrent l’Eternel; qui, ayant juré à son détriment, ne se rétracte point; qui ne prête pas son argent comme l’usurier et n’accepte pas de présent aux dépens de l’innocent ». (Psaume 15)

Puis vint Isaïe, qui les réduisit à 6: ‘Qui de nous peut demeurer auprès d’un feu dévorant? Celui qui marche dans la justice, parle avec droiture, refuse le profit de la violence, secoue la main pour repousser les dons, bouche ses oreilles aux propos sanguinaires, ferme les yeux pour ne pas se complaire au mal ». (Isaïe 33:15-16)

Puis vint Miché, qui les réduisit à 3: « Homme, on t’a dit ce qui est bien, ce que le Seigneur demande de toi: rien que de pratiquer la justice, d’aimer la bonté et de marcher humblement avec ton Dieu. (Michée 6:8)

Et quand vint Amos, il les ramena à un seul: « Ainsi parle le Seigneur, cherchez-moi et vivez ». (Amos 5:4)

Quand vous aimez quelque chose très fort, quelque chose qui habite votre âme, qui est comme une vibration de tout votre être: « je vous conjure, filles de Jérusalem, si vous trouvez mon bien-aimé, que lui direz-vous? Que je suis malade d’amour » (Chir Hachirim).

Quand des millénaires de ferveur, des générations d’étude infinie, l’ont tissé, construit en vous, intégré au plus profond, comme l’exprime le psaume: « Bénis oh mon âme l’Eternel, et toutes mes entrailles, le nom de sa Sainteté et le roi David: tous mes os te racontent, Eternel ».

Quand vous savez, quand vous comprenez de science certaine, parce que cela vous a été enseigné depuis les premiers balbutiements de l’enfance, que quelque chose de si fort, de si présent, vous ne pouvez ni le rencontrer, ni le voir « l’homme ne peut me voir et vivre... tu verras mes traces ».

Quand vous savez qu’aucun visage, aucune image, aucun corps, aucune représentation ne peut se faire de Lui, que toutes les théologies, toutes les tentatives de formulation, les plus géniales équations, ne sont que de dérisoires réductions: « si notre bouche était pleine de chants comme la mer, et notre langue faite d’hymnes comme la masse de ses vagues, si nos yeux éclairés comme le soleil et la lune... nous ne suffirions pas à te louer ni à bénir ton nom pour la mille millième de la mille millième partie... ».

Quand, de l’être aimé, le seul témoignage concret que vous ayez c’est un livre qui dit l’amour, à mots couverts, pudiques, comme il convient pur la tendresse véritable. Seulement un livre qui dit souvent, aussi, les déceptions, les blessures, les infidélités, les incompréhensions, une parole qui rappelle le lien et l’alliance, certes, mais d’abord la loi exigeante et rigoureuse qui les fonde. Que reste-t-il à l’amoureux pour meubler son attente, adoucir sa solitude et, en même temps, balbutier quelque chose du rêve indicible qui le brûle ?

Alors, la parole du Sinaï jaillit d’un moment de proximité unique où Israël, rassemblé, sentit sur lui comme un souffle de la présence, cette parole devient message d’amour... « Place-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras, car l’amour est fort comme la mort ». Et l’amoureux va s’acharner, avec ferveur, avec « joie et tremblement » à matérialiser, à donner corps au message: « Ecris mes paroles sur tes portes », « grave-les entre tes yeux », « attache-les sur ton bras », « au coin de tes vêtements, mets un fil bleu. Tu le verras et tu te souviendras... », « Entre moi et toi il est signe pour l’éternité ».

Comme un amoureux qui, dans une lettre, demande à sa bien-aimée de garder sur elle le gage d’amour un jour offert...

Ainsi en est-il des innombrables commandements. Ils sont des signes, témoins d’une histoire et d’un attachement qu’aucune séparation n’est parvenue à éteindre.

Ces signes ne sont compréhensibles que pour celui qui sait, qui partage cette aventure et porte en lui un rayon de cette histoire. Ils ne peuvent être rationalisés. Aucune explication ne peut en enfermer le sens et le goût.

La raison peut-elle suffire à expliquer l’amour ?

C’est peut-être dans ce sens que Yeshayahou Leibovitz, peut-être de façon un peu sèche, affirme que les commandements sont des prescriptions divines et que c’est la seule raison de nous y plier. S’ils me sont d’un profit quelconque, alors c’est mon intérêt que je sers et pas mon créateur.

Il n’empêche, et c’est peut-être là que réside leur caractère divin, que ces témoins d’amour sanctifient nos vies, nous éduquent, sculptent nos têtes et nos âmes d’un rayon qui donne à un petit peuple, négligeable et dispersé, une force et une qualité mystérieuse qui ne laisse pas indifférent: « Car c’est là votre sagesse et votre perspicacité aux yeux des nations ».

Mais l’amour le plus vrai, le plus profond, c’est la pudeur qui en témoigne, la discrétion, quelque chose de caché, de couvert (Beréchit Rabba 1.1). Il ne se déclame pas, il se murmure souvent sans mots, comme les nigounim des hassidim..

Aujourd’hui, ce n’est plus souvent le cas. La prolifération des prescriptions va de pair avec un côté ostentatoire et tatillon, une superbe, qui blessent et ne sont rien moins que suspects. Il est si fin, le fil qui sépare le vrai service, le vrai amour de D. de sa caricature et de cultes vains.

Rabbi Abraham Dahan