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"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

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Commentaire

Sermon de Roch haChanah - Tichri 5775

December 4, 2014 6

Sermon de Roch haChanah – Tichri 5775 – Rabbi Marc Neiger

En préparant la célébration des fêtes de Tichri, j’ai commencé par faire un bilan de l’année écoulée. Comme chaque année, la communauté a connu son lot de drames, de réjouissances familiales et de moments partagés à la synagogue, au rythme des fêtes et des sessions d’étude.

En tant que rabbin, je bénéficie d’un point de vue exceptionnel lorsque j’accompagne les familles dans les étapes du cycle de la vie. Etant le plus souvent partie prenante de ces moments, toujours importants, c'est même un privilège d’accompagner tant les larmes de tristesse, que les larmes de joie. En annonçant ces événements dans le carnet de notre communauté, et en marquant ces événements de notre vie à la synagogue, que ce soit par un Kiddouch offert à l'occasion d'un yahrzeit, la présentation à la Torah d'un nourrisson, l'organisation d'un office de Chiv'ah, ou un chabbat Hatan veKhalah, c'est toute notre communauté qui est invitée à partager ces émotions et réaffirmer le sens du mot communauté.

Pourtant cette année ne fut pas une année comme les autres ; cette année c'est tout le Yichouv de Belgique, tout le monde Juif, et le peuple d’Israël qui ont été rudement éprouvés.
L'attaque du Musée Juif de Belgique a été un choc auquel personne n'était préparé, mais que beaucoup craignaient. Il a été la cristallisation violente et barbare d'une haine qui semble s'être libérée, d'une parole qui ne se contient plus.
Quand je me retourne sur les événements de cet été et sur l'enchaînement qui a mené à l’opération « Bordure Protectrice » à Gaza, je reste stupéfait par la haine qui a pu amener au massacre de quatre adolescents, trois Israéliens et un Palestinien. J'en suis perplexe et profondément attristé.

La perplexité, quel que soit notre positionnement par rapport à la politique israélienne, nous l'avons également connue durant les semaines qui ont suivi : le niveau de tension dans l'opinion internationale et la présentation des événements dans les médias nous ont tous projetés, avec une acuité inhabituelle, dans un rôle auquel nous n'étions pas préparés : chacun de nous était devenu un ambassadeur de l'état d'Israël, c'est à dire la cible de toutes les critiques, et celui en charge de la défense politique de l’État d’Israël. Cet été, les événements dans le reste du monde, jusqu'à ces derniers jours inclus, ne furent pas pour nous aider à revenir de cette perplexité.

Les combats en Ukraine, aux portes de l’Europe, mais surtout la violence au Moyen Orient, réveillent dans notre conscience collective des souvenirs douloureux. En Ukraine, les pouvoirs politiques manipulent l’image des Juifs au gré de leurs besoins ; en Irak et en Syrie, ce sont les chrétiens et les autres minorités religieuses et nationales qui deviennent nos frères et nos soeurs d’infortunes, massacrés et chassés sans ménagement de la terre qui les a vu naître. Il nous est donné un moyen d'absorber cette difficulté et de surmonter cette perplexité ; c'est de revenir au coeur de la communauté.

Si nous sommes régulièrement rassemblés à l'occasion des fêtes de Tichri, c'est parce que nous avons besoin de partager les difficultés de l'année écoulée et de nous retrouver ensemble autour de nos convictions et nos valeurs fondamentales, afin de pouvoir commencer cette nouvelle année. Les fêtes de Roch haChanah et de Yom Kippour nous voient nombreux retrouver le chemin de la synagogue, même ceux qui se déclarent « non croyants ».

Mais le Judaïsme ne demande pas cette croyance en l'image écornée d'un Dieu qui n'éveille plus de résonance chez la plupart d'entre nous. Le texte de nos prières reprend le langage du divin hérité de la Bible, mais la compréhension du divin que notre tradition a développée depuis la clôture de la Bible, n'affirme qu'une chose à propos de Dieu : Le Divin est inaccessible, incompréhensible aux êtres humains que nous sommes. Mais la conviction que nous avons, à la fois individuellement et collectivement, que quelque chose transcende l'existence humaine, demeure nonobstant ce qui nous permet d'espérer, de tendre et de travailler à améliorer l'humanité. Si je peux oser cette formule, kivyakhol prescrit la tradition : ce n'est pas la foi en Dieu qui nous est demandée, mais la foi en l'être humain. Ce n'est pas un objectif plus facile à atteindre, bien au contraire, mais collectivement, au sein de la communauté nous pouvons parvenir à la cultiver.

On trouve dans le traité Sanhédrin (Talmud, 98a), et dans l'introduction de notre Mahzor de Yom Kippour, une histoire qui reprend ce thème :
Rabbi Josué ben Levi rencontra le prophète Elie et lui demanda : « Quand le Messie viendra-t-il ? ».
Elie lui répondit : « Va le lui demander ».
« Où est-il donc ? ».
« A la porte de la ville ».
« Comment puis-je le reconnaître ? ».
« Il est avec les miséreux atteints de la lèpre ».
Rabbi Josué alla donc trouver le Messie. En le voyant soigner les lépreux, il lui dit : « La paix soit sur toi, mon maître ».
« Que la paix soit sur toi, fils de Lévi » lui répondit le Messie.
« Quand viendras-tu, maître ? » lui demanda Rabbi Josué.
« Aujourd'hui » lui répondit-il.
Rabbi Josué revint vers Elie qui lui demanda ce que le Messie lui avait dit. Il répondit : « Il m'a menti puisqu'il m'a affirmé qu'il viendra le jour même et qu'il n'est pas venu ».
Elie répliqua : « Il voulait te faire comprendre qu'il viendra היום אם-בקלו תשמעו 
Aujourd'hui, si vous écoutez Sa voix (Ps. 95.7) ». (B. Sanhedrin 98a).

Le sens de cette parabole est de nous rappeler que les temps messianiques, les temps du parachèvement idéal de l'humanité, sont accessibles si nous cultivons cet espoir et si nous nous le faisons tous ensemble. Tous ensemble : c'est toute l'humanité, et le peuple juif est un microcosme qui représente toute cette humanité, et la communauté est le microcosme qui représente l'ensemble du peuple juif. Mais cela ne peut se faire au niveau uniquement individuel, entre soi et Dieu ; le judaïsme est un « sport collectif ». Ceci nous rappelle qu'il ne s'agit pas de nous recroqueviller sur nous-mêmes, et de ne pas laisser notre bonne volonté être étouffée par la dureté du monde qui nous entoure.
L’occasion nous en sera donnée cette année par la célébration du Jubilé de Beth Hillel, 50 années d'existence mais surtout de construction.
Cinquante ans ce sont deux générations, et la nécessité naturelle de renouveler les équipes, comme cela a d'ailleurs commencé depuis quelques années. Se renouveler, ce sera à la fois regarder vers l’avant mais surtout affirmer ce qui fait notre identité juive. Notre communauté est de plus en plus présente dans le Yichouv belge, mais cette place n’a de sens que parce que nous affirmons clairement les valeurs qui font de nous des Juifs libéraux, des juifs à part entière et intégralement engagés pour les convictions qui sont les nôtres.

A tous, je nous souhaite une année de renouvellement et d'apaisement, une année d'espoir et de célébration, et pour notre monde une année où l'humanité saura retrouver un peu du sens du sacré de la vie humaine et de l’émerveillement face à la création.
Chanah Tovah ouMétoukah,

Rabbin Marc Neiger
(In Shofar N° 359 – Décembre 2014)