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"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

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La Guerre de Bom Fim par Moacyr Scliar

On vous dit Brésil et…vous pensez au Carnaval, au brassage ethnique, au coup de pied légendaire de Pelé ou encore aux amours charnelles de la belle Teresa Batista et d’Emiliano, immortalisées par Jorge Amado.

Mais, derrière les mirages du Nouveau Monde, se profile la misère de l’émigration qui charrie son lot de déceptions amères que la nécessité de survivre empêche de formuler. Aussi, c’est à la candeur de l’enfance que Moacyr Scliar confie la tâche de relater l’apprentissage rugueux de l’intégration.

Dans « La Guerre de Bom Fim »[1], un enfant grandissant dans un quartier pauvre observe l’étrangeté de son milieu familial. Le déracinement de l’Europe de l’Est, la rudesse relationnelle, l’absence d’intimité, l’inadéquation d’une mère chroniquement décalée par rapport à la réalité, la santé fragile d’un frère trop tôt disparu, qui, tel une silhouette de Chagall, s’envole par-dessus les toits, emportant son violon.

Par son extraordinaire capacité d’absorption, l’enfant décode le brutal arrachement de ses parents au judaïsme européen d’avant-guerre. Dès lors, il imagine avec les gamins du quartier - chacun promis à un brillant avenir - une guerre fantasmatique contre les puissances exterminatrices. L’imaginaire infantile est en fin de compte le seul lieu où la mort n’existe pas.

« Max et les Fauves »[2]pose la question du rapport de l’individu face au Mal Absolu. Un jeune Berlinois quitte l’Allemagne à l’avènement du nazisme. Il s’embarque pour le Brésil à bord d’un étrange navire qui ne comporte comme autres passagers qu’un directeur de cirque et sa ménagerie. Celui-ci s’est entendu avec le capitaine pour provoquer le naufrage du bateau en pleine mer. Le héros saute dans une chaloupe avant de voir disparaître le bâtiment sous les flots. Il est alors rejoint par un jaguar qui, rescapé de la noyade, saute dans la chaloupe et le fixe durant toute leur dérive sur l’océan.

L’Amérique latine accueillera en grand nombre d’anciens dignitaires nazis, et les réfugiés continueront de porter en eux le visage de leur bourreau, avec l’impression insupportable d’être constamment poursuivis, même après avoir échappé au pire.

Fin artificier, Monacyr Scliar orchestre, dans « Le Carnaval des Animaux »[3], un bouquet de nouvelles ciselées où la métaphore est reine. La réalité y côtoie l’absurde, le surnaturel infiltre le journalier et la sexualité revêt les aspects les plus archaïques.

L’homme était-il doté d’une conscience morale, ce qui le distinguerait d’un animal sauvage. Mais le vernis civilisationnel mis en place n’est-il qu’un rempart dérisoire face à la férocité et à la barbarie ?

Moacyr Scliar est né à Porto Alegre en 1938. Médecin de formation, il a été élu membre de l’Académie Brésilienne des Lettres en 2003.

Son roman « Le Centaure dans le Jardin »[4]a été nominé par le National Yiddish Book Center comme figurant parmi les cent œuvres majeures de la littérature juive contemporaine.

Moacyr Scliar est décédé le 27 février 2011.

Isabelle Telerman

 

 



[1]La Guerre de Bom Fim, Editions Folies d’Encre, 2010,181 p.

[2]Max et les Fauves, Editions Folies d’Encre, 2009, 95 p.

[3]Le Carnaval des Animaux, Editions Folies d’Encre, 2010, 122 p.

[4]Le Centaure dans le Jardin, Presses de la Renaissance, 1985