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"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel

Commémorations

Yom HaShoah 5771, 2 mai 2011

Peut-on être absolument convaincu qu’une action soit nécessaire, indispensable, sainte même, dans la mesure où elle préserve, interpelle l'humain dans l'homme et, en même temps, être assailli par la crainte qu’elle soit mal prise, mal comprise et parfois même haineusement critiquée ?

C'est cette crainte qu'éveille en moi la commémoration de la Shoah. Ils sont innombrables les Juifs qui viennent me faire part de leur inquiétude, de leur angoisse devant des réflexions telles que " Encore ces Juifs avec leur Shoah ! C'est du rabâchage ! Il faut oublier, tourner la page." Il y a pire encore. Les confusions conscientes ou non, où l'antisionisme sert de paravent à un antisémitisme abominable.

Ce que l'on oublie ou que l’on feint d'ignorer, c'est qu'Auschwitz est l'expression du mal absolu, de l'effacement total de l'humain. La machine nazie n'avait pas pour objectif de se débarrasser d'une minorité mal intégrée, d'un groupe d'opposants ou de gens ayant des revendications particulières, mais d'éradiquer un peuple entier. Le peuple juif, sa religion et sa culture. En effacer la moindre trace et de façon systématique, industrielle, implacable et cruelle jusqu'à l'impensable. Même les enfants furent impitoyablement traqués, les bébés arrachés aux bras de leur mère pour être fracassés contre un arbre ou un rocher.

Cette semaine, nous avons eu quatre décès dans notre communauté, dont celui de notre ancien président, Emmanuel Wolf : tous les quatre étaient des enfants cachés. Alors que les nazis montaient dans l'appartement, rue des Tanneurs, où habitaient ses parents, Manu, alors âgé d'un an à peine, fut jeté par la fenêtre à une voisine par sa mère affolée qui crie "sauvez mon enfant !" Toute la famille sera déportée, le père, la mère, et deux soeurs, tous gazés.

Un peuple entier suivra un monstre, obéira et fera sien un système effrayant : du professeur d'université au médecin, au chef d'entreprise et au conducteur de train, dans le silence des nations, trop souvent même avec leur collaboration. Cela dans l'Europe du 20ème siècle, en Allemagne, le pays le plus avancé, le pays des philosophes, de la science, de la pensée, des plus célèbres universités, de la musique et de l'art. L'Allemagne chrétienne depuis 900 ans !

Alors les commémorations de la Shoah ce n'est ni pour se lamenter, ni pour revendiquer quoi que ce soit ou entretenir une rancoeur, mais pour rappeler jusqu'à quels abîmes d'horreur l'homme peut s'enfoncer, et que si cela a eu lieu, cela peut encore se reproduire.

Aujourd'hui, hélas, les ingrédients vers la barbarie ne manquent pas. 66 ans après la guerre, les survivants se font rares. Une génération se lève pour laquelle ce sera de l'histoire ancienne, un épisode parmi d'autres.

Les négationnistes, ceux qui veulent réécrire l'Histoire, sèment leur poison et guettent le moment. Une maman m'a raconté que dans la classe de sa fille, en secondaire, le professeur de religion a dit aux élèves que la destruction des tours du World Trade Center à New York, a été planifiée par les Américains…

Le monde où nous vivons est dangereux et violent. Les extrémismes, les fondamentalismes de tous ordres prolifèrent avec leurs enseignements de haine, dont l'antisémitisme n'est que le premier repère. La crise et les difficultés sociales s’exacerbent. La mondialisation mal contrôlée peut conduire au manque de discernement et à des confusions dangereuses. Tout s'accélère et rend fou. Aujourd'hui, l'informatique et l'électronique gèrent les hommes. Le programme mis dans la machine dicte la compétence, le rendement, l'évaluation, le profit. L'humain s'éteint et se perd.

Alors, puissions-nous ne jamais oublier que le savoir, l'instruction, la science, le progrès sont importants, mais ne garantissent rien. Pas même d'ailleurs la religion dont nous voyons aujourd'hui les effrayantes dérives et l'instrumentalisation mortelle. Puissions-nous être conscients du miracle, de la merveille que sont nos démocraties, même imparfaites. Elles sont fragiles, il faut les défendre contre ceux dont le projet et les programmes sont de les détruire. La science ne détermine pas les valeurs. Les valeurs sont des choix que doivent porter les programmes scolaires, les témoignages, les expositions, les interviews et l'éducation à l'humain qui constituent la boussole du coeur.

Il faut renforcer la conviction dans les valeurs qui portent l'Occident: la liberté, la loi qui lui donne sens, l'Etat de droit et de devoir, l'égalité entre les hommes et les femmes, le respect et la laïcité comme merveilleux espace où se rencontrent les hommes et s'exprime fraternellement leur diversité. La liberté d'expression et la tolérance dont les limites doivent être les enseignements de haine de l'autre et de mépris. Ce sont là les conditions pour ne pas voir les systèmes de ténèbres relever la tête : ne jamais idolâtrer un homme, si grand soit-il. Ne jamais obéir aveuglement, mais interroger sa conscience. Ne pas se laisser conduire par des slogans ou des credo quels qu'ils soient. Puissent nos gouvernants trouver les outils qui sèment, préservent et défendent nos valeurs. Puissent-ils comprendre que la tolérance, consiste à ne jamais tolérer l'intolérable. Telle est la dette que nous avons envers des millions d’êtres humains assassinés.

Rabbi Abraham Dahan