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"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel

Humanité et vérité

"Tu agiras envers moi avec humanité et vérité.

Ne m'enterre pas en Egypte, je dormirai avec mes pères… "(Gen. 48 :29 et 30)

 

Pendant longtemps, j'ai été interloqué, voire choqué – c'est le mot qui convient – par certains aspects de la tradition juive concernant la mort.

1. La rapidité de l'enterrement. Malgré la peine et la détresse, le jour même du décès si cela est possible, ou le lendemain. Evidemment, dans notre pays, la loi l'interdit. Mais en Israël, c'est encore une pratique courante.

2. L'ensevelissement à même la terre, sans cercueil, le corps entièrement enveloppé et recouvert d'un linceul. Donc, ni habillage, ni maquillage. En Europe, le cercueil est obligatoire. Le dilemme est résolu dans nos communautés en optant pour le cercueil le plus simple, que l'on appelle je crois le cercueil des indigents.

3. Le dépouillement de la cérémonie d'enterrement et sa brièveté, quelques psaumes, le Hesped, l'oraison funèbre, quelques mots à propos du défunt, de ce qui a porté sa vie et, après l'enterrement, le Kaddich. Il y a, dans ces pratiques, l'expression évidente d'un refus absolu d'esthétisation de la mort, de sa mise en scène, le  refus d'en faire un spectacle.

4. Le cadavre humain est source d'impureté, Av Toum'a. Son contact rend impur et pour sortir de cet état, il faut le temps et, dans Antiquité biblique, une cérémonie-choc pour se remettre dans la vie.

Pour comprendre cette approche, il faut repenser à l'histoire des Hébreux. Ils furent esclaves en Egypte longtemps, et la culture égyptienne était centrée sur la mort. Il fallait être enterré avec "le livre des morts" qui coûtait une fortune et qui seul donnait accès à l'au-delà. Il ne faut pas oublier l'embaumement, les rituels étranges qui assuraient l'éternité, les tombes colossales pour le pharaon, les princes…

Les cérémonies de deuil qui n'en finissaient pas. Et les chefs d'orchestre de ce grand spectacle étaient les prêtres.

Quand Moïse libère les Hébreux, il prendra le contre-pied de tout cela. C'est ce qui explique ce qui est mentionné plus haut. Mais, en plus, les prêtres, les cohanim, seront interdits de cimetière, sauf pour leur toute proche famille. Le cohen sera au service de la vie et non pas de la mort. Et jusqu'à aujourd'hui, les cohanim restent à l'entrée du cimetière.

Il s'agit, pour le Judaïsme, de vivre et d'assumer la mort dans sa vérité en évitant toute mise en scène, toute tentation d'en faire un spectacle tout en veillant à garder une puissante expression d'humanité et d'espérance.

1. Avant le décès, il faut être présent, accompagner le malade, rassurer, réconforter, dire l'espoir et, juste au moment du décès, dire le Chema Israël et les psaumes.

2. Quand la mort intervient, fermer les yeux, mettre le corps droit, le recouvrir entièrement. Déchirer son vêtement (kriya) pour matérialiser sa souffrance, comme Yaacov le fit quand on lui annonça la mort de Yossef, et direla formule "BarouH ata Adonaï dayan ha'emet", béni sois-tu Eternel, juge de vérité.

Entre le décès et l'enterrement, c'est la période de "Aninout". Le mot "Onen" traduit un état de souffrance, mais qui ne dispense pas la famille de sortir et de tout faire pour assurer au défunt un enterrement décent.

Avant l'enterrement, il y a la "Tahara", la toilette mortuaire, qui exprime l'infini respect du corps. Elle se fait dans le silence, avec d'infinies précautions, dont le principe est d'agir comme si c'était le corps d'un vivant. Cette importante mitsva, c'est la "Hevra Kaddicha" qui s'en occupe, la confrérie de sainteté: des hommes pour s'occuper des hommes et des femmes lorsqu’il s’agit d’une femme.

C'est une très grande mitsva, car s'occuper d'un défunt est difficile, nous met devant notre condition de mortel, nous déprime, diminue en nous l'élan de vie; la tradition désigne cet état par le terme de "Toum'a" qu'on traduit improprement par 'impureté'.

On n'apporte pas le corps à la synagogue, mais directement au cimetière. Avant de fermer le cercueil, les enfants peuvent se recueillir près du corps de leur parent et demander pardon, mais on ne laisse jamais des parents seuls auprès du corps de leur enfant mort. On peut enterrer un homme avec son Talit s’il l'a utilisé durant sa vie, mais en coupant un coin pour le rendre "passoul", c'est-à-dire impropre à l'usage d'un vivant, car seuls les vivants sont tenus aux commandements.

L'enterrement, comme je l'ai mentionné, est très dépouillé et assez rapide, pour que le défunt rejoigne le plus vite son repos. On ne met pas de fleurs, mais chaque personne présente, jette trois pelletées de terre car "nous sommes poussière et nous retournons à la poussière. Le corps retourne à la terre dont il est pétri, et l'âme à son Créateur".

Quand le cercueil est recouvert, un proche dit le Kaddich et, en sortant du cimetière, il faut se laver les mains pour couper avec la mort.

Après l'enterrement, commence la période de "Avélout", le deuil proprement dit, où la famille reste pendant les sept premiers jours à la maison et ce sont les proches et les amis qui viennent pour « être avec », prier, parler, préparer à manger. Ce sont les "Shiva", les sept jours de deuil qui se terminent au matin du septième jour. Pendant les Shiva on ne boit pas de vin, on ne mange pas de viande, on ne fait pas de musique. Il faut que le deuil soit assumé, sauf le chabbat ou un jour de fête qui tombe pendant les Shiva et qui arrêtent le grand deuil. Puis le deuil va décroissant, marqué par les "Shloshim", les trente jours et, enfin l'année où, lors d'une petite cérémonie au cimetière, on pose la "matzéva".

Rabbi Abraham Dahan

 

Rabbi Shimon ben Elazar disait: celui qui est près de quelqu'un lorsque survient la mort, doit déchirer son vêtement, parce que c'est comme s'il assistait à un Sefer Tora que l'on brûle. (Chabbat 108b).

Lorsque l'âme quitte le corps, son cri va d'une extrémité du monde à l'autre (Mo'ed kattan 28a).

Nos maîtres enseignaient : on doit même arrêter l'étude de la Tora pour s'occuper de l’enterrement décent d'un défunt (Ketoubot 17).