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"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

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ChlaH léHa - Théo Fueg

ChlaH léHa "envoie pour toi"

 

Moïse envoie douze hommes explorer la terre de Canaan et rapporter des renseignements: si elle est habitée, comment, à quoi ressemble le pays. Les hommes reviennent: Josué et Caleb sont enthousiastes: ils savent que l'Éternel les fera entrer dans « ce pays de lait et de miel ». Les dix autres n'y croient pas et ils montent le peuple contre Moïse.

L'Éternel se met alors en colère et menace d'exterminer tous les Hébreux. Moïse argumente: il explique à l'Éternel que celui-ci n'a pas fait sortir les Hébreux d'Égypte pour les anéantir dans le désert. L'Éternel renonce à son projet.

 

La discussion entre Moïse et Dieu est intéressante. Il peut paraître étonnant de voir que les grands personnages du judaïsme osent s’opposer à Dieu. Moïse se comporte comme Abraham: Lorsque l'Éternel a prévenu Abraham qu'il allait détruire Sodome et Gomorrhe, Abraham l'a affronté. Moïse fait la même chose et le fait changer d'avis. Tous les deux prennent leurs responsabilités en tant que chef: Abraham sauve la vie de la famille de Lot, Moïse sauve les Hébreux.

Ce sont des hommes responsables. Telle est la tradition des héros de la Bible. Les grands personnages du Talmud l’ont portée plus loin: Rabbi Eliézer essayait de défendre son point de vue de toutes les façons possibles, y compris en faisant appel à des miracles. Rabbi Yéhouda s’y est opposé en rappelant l’importance du respect des opinions opposées dans notre Tradition. Alors, Rabbi Eliezer a fait appel à une voix divine pour soutenir son point de vue. Rabbi Yéhouda se leva brutalement et dit « Elle n’est pas dans le ciel ! »

 

Telle est la contestation juive. On s’oppose à la voix divine, mais en s’appuyant sur la Torah. On repose devant Dieu ses propres principes, que nous avons acceptés et auxquels lui-même se soumet. Le judaïsme n’est pas une religion de soumission.  le poète Edmond Fleg disait : « je suis juif parce que le judaïsme n’exige de mon esprit aucune abdication ».

 

Le judaïsme est une religion de contestation intelligente, que j’appellerais la « rébellion mature ». Il est même obligatoire de poser des questions dans certaines yéchivot, de peur d’en être exclu ! On conteste, avec intelligence, en faisant vivre d’une façon personnelle une loi universelle.

 

Cela veut-il dire que notre Tradition s’oppose à la rébellion immature ? Non ! La réaction du peuple est un exemple de rébellion immature: il n’oppose pas d’arguments ni de suggestions, juste des plaintes et des revendications. La réaction du peuple vient de son « ça », et non de son « moi ».

Que sont le « ça » et le « moi » ? Pour Freud, l’esprit est composé du ça (les pulsions humaines), du surmoi (l’ordre, la loi, les obligations), et du moi qui est l’arbitre entre les pulsions et les obligations. Le système de la loi juive s’appelle halaHa, le chemin, l'arbitrage entre les grands principes et le désir humain.

 

Nous avons vu que la rébellion est admise dans le judaïsme, mais dans ce cas, pourquoi se fâcher contre le peuple comme le fait Dieu ? C’est parce que la rébellion doit avoir une raison. Le seul argument du peuple est « c’était mieux avant », argument qui relève du fantasme. Cette rébellion est infantile.

 

Le peuple est comme un jeune adolescent rebelle, et Moïse comme son grand frère. Et Dieu, Lui-même se rebelle  Il est prêt à tout laisser tomber ! Comment est La rébellion divine ? La situation est beaucoup plus complexe. Moïse approche Dieu en état de désespoir et de renoncement face à l’attitude désespérante du peuple.

 

Quels sont les choix qui s’offrent à Dieu ?

Consoler Moïse ?  Mais alors, Dieu devra sans cesse le consoler, car ce n’est pas la fin des difficultés. Consoler, c’est parfois infantiliser. Dieu peut au contraire choisir d’obliger Moïse à changer de discours: Moïse arrive désespéré, Dieu fait semblant d’être lui-même désespéré. Moïse est obligé de prendre le contre-pied !

Nous n’avons pas de preuve que telle était l’intention divine, mais ce serait une rébellion « thérapeutique », destinée à aider Moïse à prendre le dessus.

Dieu a plusieurs « visages ». Le monde aussi peut avoir plusieurs visages : Moise a dit : tout est loi, Jésus a dit tout est amour, Marx – tout est argent, Freud – tout est sexe, Einstein – tout est relatif !

 

Tout est relatif, y compris la façon dont nous percevons le monde et son Créateur.