Accueil

"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel

Séfer Torah Tchèque

Vezot haTorah - Czech Scroll number MST#1498

Shofar 278 - Décembre 2006

Nous l'honorons, nous le portons en procession, nous lisons semaine après semaine dans son texte, nous le montrons solennellement de la main, et pourtant la plupart d'entre nous ne connaissent pas son histoire. Je parle d'un des rouleaux de la Torah qui demeure dans notre arche sainte, celui que nous déroulons et enroulons au fil des parachiot hebdomadaires.

Certes, seul le texte est saint et c'est à ce texte que chaque shabbat notre Assemblée debout proclame son adhésion. Mais son support de parchemin est, lui aussi, éminemment vénérable. Comme tout Séfer Torah, il est le fruit du long travail d'un homme, d'un scribe qui l'a écrit avec tout son amour, son respect, son érudition et son art. "Lorsque Rabbi Meïr fit savoir à Rabbi Ismaël qu'il exerçait le métier de scribe, Rabbi Ismaël lui dit: "Mon fils apporte le plus grand soin à ta tâche, car c'est là une tâche céleste".1 Mais de plus, le rouleau qu'abrite notre Aron hakodech s'inscrit à une place spéciale dans le temps et dans l'histoire du peuple juif.

Des documents, réapparus récemment dans les archives de notre communauté, rappellent qu'en 1966, deux membres fondateurs de Beth Hillel, Mme Lewison et M. Sandor demandèrent et reçurent en prêt un Séfer Torah du "Czech Memorial Scrolls Trust". Cette association est une société pour la conservation et la mémoire des rouleaux de la Torah provenant de l'ex-Tchécoslovaquie. Elle est située dans les murs de la "Westminster Synagogue" de Londres.

Après la guerre, à l'instigation de Rabbi Harold Reinhart aidé par un bienfaiteur Ralph Yablon, un marchand d’œuvres d'art, Eric Estorick, négocia l'achat de 1.400 Sifré Torah et de 400 mappot, c'est à dire des langes de circoncision servant à enserrer la Torah après la lecture. Ceux-ci faisaient partie d'une collection, constituée à l'époque nazie pendant l'occupation de la Bohème et de la Moravie, et stockée sur des étagères de bois brut dans la synagogue de Michle, un faubourg de Prague. Tous ces objets cultuels y avaient été amoncelés et étaient destinés à être exposés dans un énorme musée projeté dont le but aurait été de témoigner de la disparition d'un peuple dégénéré. Cette collection arriva à la "Westminster Synagogue" de Londres en 1964. Aujourd'hui un petit musée2 propose une exposition permanente qui raconte aux visiteurs l'histoire des rouleaux rescapés.

Pendant trente ans, le "Czech Memorial Scrolls Trust" se chargea de la restauration des rouleaux. Il se fixa comme objectif de les ressusciter en les distribuant à des communautés juives à travers le monde, afin que celles-ci les fassent à nouveau participer à leurs célébrations. Un autre but du "Memorial" est d'encourager ces communautés à effectuer des recherches sur la communauté d'origine du rouleau.

Notre Séfer Torah provient de Lipnik, petite ville du nord-est de la Moravie en ex-Tchécoslovaquie. On y signale une synagogue dès 1540. Nous savons qu'à l'époque les activités principales de ces Juifs consistaient en la production de textile et l'importation de bétail de Pologne. En 1665, la communauté était composée de quarante familles. La ville était connue pour ses rabbins prestigieux. Parmi ceux-ci Moses Shimshon Barcharach, rabbin de 1632 à 1644, composa une seliah pour faire mémoire de la mise à sac de la ville par les Suédois. Plus tard, sous le rabbinat de Baruch Fraenkel-Téomim (1802-1828) fut fondée une yechivah qui attira des élèves de toute l'Europe. En 1830, la communauté comptait 1259 Juifs, en 1857 il y en eut jusqu'à 1687, puis elle déclina comme ce fut souvent le cas à l'époque puisqu'en 1921 on ne signale plus que 212 personnes. La communauté fut entièrement décimée en 1942, tous ses membres furent déportés et exterminés dans les camps. Elle ne se reconstitua plus jamais après la 2ème guerre mondiale. Ainsi notre Assemblée pourra évoquer dorénavant ceux qui avant nous ont déroulé notre rouleau, l'ont lu, rhabillé, couronné et ont peut-être même dansé dans leur maison de prière en le tenant dans leurs bras, au jour de Simh̲at Torah.

Beth Hillel désire entrer dans cette chaîne de transmission et a l'intention de commémorer désormais les Juifs de Lipnik. La célébration de Yom haShoah pourrait être l'occasion d'évoquer leurs noms ou tout au moins leur souvenir.

Tous les Sifré Torah, c'est à dire plus de 1.400 sont à présent prêtés, la majeure partie à des synagogues, certains ont été confiés à des institutions juives ou à des universités. Il y en a qui se trouvent à la "Royal Library of Windsor" et même à la Maison Blanche. Plus de 1.000 sont actuellement aux Etats-Unis. Ils continuent cependant à appartenir au "Czech Memorial Scrolls Trust", et il est bien qu'il en soit ainsi, car de la sorte ils représentent une famille dont les membres ressentiraient toujours leur appartenance à un tronc commun, malgré l'éloignement et la distance, malgré leur prise en charge par des Juifs plus heureux qui eurent la chance d'échapper à l'extermination.

"Chamor vezakhor" ... Garder et se souvenir, n'est-ce pas une manière qui nous est donnée de marquer, avec notre reconnaissance pour la vie qui nous a été laissée, une victoire sur les bourreaux de notre peuple ?

par Monique Ebstein z"l


1 Dictionnaire encyclopédique du judaïsme.

2 "Czech Memorial Scrolls Trust", Kent House, Ruthland Gardens, London SW7 1BX. https://www.memorialscrollstrust.org/