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"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

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Commentaire

May all your Hanukkahs be light

December 20, 2016 12

May all your Hanukkahs be light

Irving Berlin écrivit probablement White Christmas au début de la seconde guerre mondiale. Comment comprendre que Irving Berlin, né Israël Baline en Biélorussie et poussé à l'immigration par la violence des pogroms de la fin du 19èmesiècle, aie utilisé Noël comme thème pour écrire son plus grand succès et la plus grande vente de disques de l'histoire ?

Ce faisant, Irving Berlin s'intègre en fait dans la droite ligne de la création et du développement de la fête de Hanoukka, même si les Maccabées et les premiers rabbins ne se doutaient pas d'une future concurrence avec le noël chrétien. Je ne souhaite pas comparer Irving Berlin aux prêtres de Jérusalem qui se firent complices d'Antiochus IV, mais aux Judéens qui vécurent sous la dynastie Hasmonéenne (140-46 AEC) et qui intégrèrent de nombreux éléments de la culture Grecque sans pour autant remettre en cause leur identité religieuse et nationale.

Pour comprendre le subtil équilibre de l'époque Hasmonéenne, il faut remonter à l'histoire de la révolte des Maccabées menée tout d'abord par le prêtre Mattathias, puis par ces fils Judah Maccabée et Simon. Plusieurs sources, et en particuliers les livres des Maccabées I et II qui n'ont survécu qu'en Grec, nous racontent leur histoire. Lorsque contre toute attente les Maccabées reprennent Jérusalem, ils doivent ré-inaugurer le temple qui a été utilisé pour des célébrations païennes. Nulle mention pour l'instant de la fiole d'huile, mais les Maccabées s'inspirent de la cérémonie d'inauguration du Tabernacle (Lévitique 8.33-36 & 9.1) et surtout de celle du Temple de Salomon (1 Rois 8.62-66). La connexion avec Soukkot est également encore plus marquée que lors de l'inauguration du Temple de Salomon ; d'après I Maccabées ils secouèrent le loulav pendant les huit jours de la célébration pour rattraper la fête de Soukkot qu'ils n'avaient pu célébrer parfaitement. En plus de la grande ménorah du temple, on peut les imaginer allumant de grand feux et jonglant avec des torches comme cela se pratiquait à l'époque du second temple (Tosetfa Soukkah 4.1-3). Le symbole de l'embrasement était espéré par les Maccabées à l'image de l'inauguration du Tabernacle (Lévitique 9.24) du 1erTemple (I Chroniques 7.1-3) ou de l'autel d'Elie sur le mont Carmel (I Rois 18.38) et marquant la consécration d'un autel de l'Eternel.

Les rites célébrés par les Maccabées victorieux suivent donc à la fois le contexte et les pratiques traditionnelles. Mais en décrétant l'institution d'une nouvelle fête à célébrer chaque année les Maccabées inaugurent de nouvelles pratiques qui ressemblent aux usages grecs de leurs voisins, et quelques années plus tard (161 AEC) Judah Maccabée instituera même la célébration d'une victoire militaire le Jour de Nicanor qui tombait le 13 Adar. Si donc les Maccabées firent entrer des pratiques étrangères, mêmes secondaires, ceux sont aussi les Maccabées qui renouvelèrent l'esprit religieux et sauvèrent le Judaïsme de l'impasse autodestructrice qu'il avait atteint. Au début de la révolte les Hassidim représentent le principal mouvement; les Hassidim ne souhaitent pas se battre contre les forces d'Antiochus, pour eux la présence d'un tyran est forcément le fruit de la volonté de l'Eternel et le résultat d'une transgression collective. Ils réagissent au pillage du Temple mais préfèrent mourir en martyr plutôt que de commettre la moindre transgression ; lorsqu'ils sont acculés et attaqués pendant shabbat ils se laissent massacrer. Poussés par les circonstances, les Maccabées introduisent une nouvelle manière de penser et de comprendre la loi: celle-ci doit servir et faire vivre. Les Pharisiens introduisent des méthodes du monde Grec, de la philosophie et de la dialectique, pour étudier et régénérer le sens de la Torah.

Cette nature composite de la période Hasmonéenne se retrouve dans des éléments symboliques ou triviaux. Plusieurs souverains Hasmonéens portent des noms doubles, grecs et hébreux, comme Alexandre Yannaï ou Salomée Alexandra ; certaines pièces de monnaie de l'époque s'en font également l'écho, une face en hébreu, utilisant l'ancienne écriture paléohébraïque et l'autre en grec. D'un côté les Hasmonéens donnent une nouvelle gloire au royaume de Judah et à son identité religieuse, d'un autre côté, les pharisiens sont régulièrement en conflit avec la dynastie qui a osé cumuler sur une seule personne les rôles de roi et de grand prêtre.

Les premiers rabbins ont conservé la connaissance de l'origine et du développement de Hanoukka. Au début de l'ère commune la fête des lumières est devenue populaire et c'est déjà l'usage d'allumer des lampes à l'image de la ménorah du temple ; Beth Shammaï prescrit d'allumer 8 lampes le premier jour, 7 le second, 6 le troisième et ainsi de suite à l'image des taureaux qui étaient sacrifiés au Temple pendant Soukkot (Talmud Bavli Shabbat 21b et Nombres 29.12-38). Mais les rabbins ont conscience qu'ils doivent donner un nouveau sens spirituel à cette fête, d'autant que le pouvoir romain pourrait ne pas voir d'un bon œil une fête célébrant une révolte qui fut couronnée de succès. Alors comme souvent c'est la vision de Beth Hillel qui l'emporte, arguant qu'en matière de sentiment religieux il convient de croitre et jamais de décroitre, et ainsi d'augmenter la lumière du monde. Ils y parviennent au travers de l'histoire de la fiole d'huile, reléguant ainsi l'aspect plus pragmatique de Hanoukka derrière un miracle.

En écrivant White Christmas, Irving Berlin répondait bien sûr à l'opportunité de faire un tube, c'est-à-dire à séduire la majorité chrétienne des Etats-Unis. Mais d'une certaine manière il continuait l'œuvre des Hasmonéens, et plus tard des rabbins, l'adaptation au contexte et au besoin de l'époque. Berlin ne parle pas de Noël comme d'une fête religieuse, il exprime la nostalgie de célébrations passées et d'une saison où la neige donne une coloration particulière. Il devient l'incarnation d'une expérience et d'un sentiment américain tout en neutralisant l'aspect chrétien du thème, dans certains quartiers de New York on pourrait remplacer "Christmas" par "Hanukkah" sans trahir les paroles. Malgré les apparences, White Christmas est le contraire du fruit de l'assimilation, il est de la part de Berlin la compréhension complète de la culture américaine sans la perte de son identité propre de Juif né en Biélorussie, de la même manière que les Hasmonéens renforcèrent la conscience nationale et religieuse des Judéens tout en intégrant la Judée dans son voisinage de culture grecque.

"Ni par la puissance ni par la force, mais bien par mon esprit!" (Zacharie 4.6). En réponse, Hanoukka ne reste pas immuable, au contraire même, c'est par ces mutations que nous renforçons et renouvelons le sens de la fête. Mais si la forme, les pratiques et mêmes certains symboles peuvent évoluer, l'esprit de la fête, sa signification profonde reste inchangée. Pour Hanoukka, la signification est bien sur la lumière que selon les paroles d'Isaïe nous devons travailler à être pour les nations (Isaïe 46.9), en terre d'Israël à l'époque des Hasmonéens, en Israël et tous les pays de Diaspora dans notre civilisation globalisée. Et dans cette vue, il nous incombe à tous d'œuvrer pour que sur l'air de White Christmas "may all your hanukkahs (sic) be light"[i].

Rabbin Marc Neiger

 

[i]"Que tous vos Hanoukkas soient de lumière".