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Deux Lyonnais signent le premier guide d'Auschwitz

January 25, 2011 3

Deux Lyonnais signent le premier guide d'Auschwitz

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 HISTOIRE - Il est sobre et élégant, avec sa couverture prune et ses photos en couleurs de bâtiments et de paysages bucoliques. Le premier guide historique d’Auschwitz vient de sortir aux éditions Autrement, à quelques jours de l’anniversaire de la libération du camp d’extermination situé en Pologne. Le mot tourisme est pudiquement évité, mais il s’agit aussi de cela : une visite guidée d’Auschwitz appuyée sur des plans et des parcours détaillés et accompagnée d'informations pratiques. Pour les deux lyonnais auteurs de ce guide, « un voyage à Auschwitz doit s’accompagner d’un travail historique précis et rigoureux ». Explications.

Le mot guide, accolé à Auschwitz, le site le plus meurtrier de la barbarie nazie – plus de 1,1 millions de personnes y périrent entre 1940 et 1945 -  peut choquer. Les auteurs l’assument totalement. « De fait, c’est un guide, pourquoi aurait-on eu des réticences à utiliser ce mot ? L’histoire s’incarne dans des lieux que ce guide invite à visiter » explique l’historien Jean-François Forges. Pourquoi en effet se parer de fausses pudeurs ? Auschwitz est bel et bien une destination historique, touristique même, que visitent près de 1,5 millions de personnes chaque année. Des agences proposent, depuis Cracovie, des « Auschwitz tours » bouclant la visite des camps et des mines de sel dans la journée. Des milliers de collégiens et lycéens français, encadrés par leurs profs d’histoire, s’y rendent en voyage scolaire.

 Auteur d’Eduquer contre Auschwitz, l’historien Jean-François Forges réfléchit depuis longtemps à la question de l’enseignement de la Shoah. Pierre-Jérôme Biscarrat aussi : il est membre du service pédagogique de la Maison d’Izieu, où 44 enfants furent raflés puis envoyés à la mort par Klaus Barbie. Depuis 2005, tous deux interviennent lors de séminaires de formation pour les enseignants intitulés « le camp d’Auschwitz, les traces juives de Cracovie et le crime contre l’humanité ». Désormais suivis par des enseignants belges, espagnols ou américains, ces séminaires sont organisés par le Centre d’histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon, la Maison d’Izieu et la Chaire lyonnaise des droits de l’homme.

 « La question de l’enseignement de la shoah est difficile car tout discours rationnel est un peu impuissant à dire l’horreur et l’ampleur de ce génocide. Et à la fois, il faut éviter la seule compassion, qui mène à la sidération, et privilégier la réflexion » souligne Eric Jeantet, président de la Chaire lyonnaise des droits de l’homme. Les organisateurs de ces séminaires sont donc convaincus qu’ « un voyage à Auschwitz doit s’accompagner d’un travail historique précis et rigoureux ». Et c’est tout ce travail préparatoire aux visites des camps de la mort par les enseignants et leurs élèves qui a servi de matériau à ce guide d’Auschwitz.

 Pour expliquer sa démarche, Jean-François Forges cite l’historien Pierre Vidal-Naquet : « Je m’efforçais de ne rien dire d’inexact » et Claude Lanzmann, réalisateur du film La Shoah : « Auschwitz ne se visite pas. Il faut y arriver chargés d’un savoir. Il faut voir et savoir, savoir et voir indissolublement.» Les auteurs de ce guide se sont donc attachés aux faits historiques, pour la plupart établis par les Polonais. Mais la tâche n’a pas été aisée. Car pendant longtemps, aucune étude n’a porté sur l’histoire des camps d’extermination. Pour Jean-François Forges, cela tient à la « monotonie » du temps des camps.  « Il n’y a pas de durée dans laquelle inscrire un récit. Or sans récit, comment transmettre ? » demande l’historien.

Mais à force de recherches, notamment dans les archives de la construction des camps, Jean-François Forges a mis à jour plein de petits récits signifiants repris dans ce guide. Ainsi, la façon dont sont traités les problèmes techniques de la ventilation des salles de gazage, réglés dans la nuit précédant leur mise en service, dit « l’urgence d’exterminer les juifs ». D’autres indications techniques marquent le passage de l’artisanat à « une industrialisation de la Shoah ». Les descriptions sobres et les faits précis sont ponctués de témoignages de survivants.

Le souci de mise en perspective historique se lit aussi dans la partie du guide qui évoque l’intensité de la vie religieuse, économique et sociale des Juifs de Cracovie avant guerre. Son auteur, Pierre-Jérôme Biscarrat, estime en effet qu’ « on ne peut plus aller à Auschwitz sans se rendre à Cracovie pour découvrir les traces juives de la Pologne ». Présents depuis le début du 12e siècle, les Juifs de Cracovie étaient 64 000 en 1939, ils sont 200 en 2010. Cette façon d’entrer dans l’histoire par la vie, est à ses yeux « un impératif pédagogique et historique, essentiel ». Car « 6 millions de morts, ça ne veut rien dire. Un monde juif, extrêmement hétérogène, a été rayé de la carte. Au lendemain de la guerre, il ne manque pas 6 millions de personnes en Europe mais mille ans de culture » estime l’historien. 

Les photos de l’ouvrage, signées par Léa Eouzan, sont en belle adéquation avec le texte historique. Elles sont cadrées très frontalement, sans affect ni recherche d’effet. Elles ne cherchent pas à travestir, dramatiser ou embellir, elles sont simplement ancrées dans la réalité du lieu aujourd’hui. C'est ainsi que l’entrée d’Auschwitz II-Birkenau avec son célèbre Mirador est prise sous un angle inédit, qui ne cache pas les « WC » à disposition des nombreux visiteurs du lieu (voir ci-contre).

Le directeur du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau, Piotr M. A. Cywinski apprécie que cet ouvrage soit « très descriptif, proche de l’authenticité, dépourvu de commentaires. » « Ce n’est pas un guide prophétique, héroïque, encore moins empathique » juge le directeur qui estime que « c’est au lecteur de le devenir, après un travail de mémoire, de conscience et de réflexion ». C’est justement à tout ce travail que ce guide contribue grandement. 

Anne-Caroline JAMBAUD

Guide historique d’Auschwitz, par Jean-François Forges et Pierre-Jérôme Biscarrat, photos de Léa Eouzan. Editions Autrement, 22€.