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Dans La Presse

Religion. Les espoirs de Pauline Bebe, première femme rabbin française

April 1, 2011 2:

 

http://www.leprogres.fr/actualite/2011/04/01/les-espoirs-de-pauline-bebe-premiere-femme-rabbin-francaise 

Aujourd’hui, elles sont trois à porter une autre voix au sein du judaïsme français - au grand dam de certains gardiens de la tradition, qui estiment cette pratique contraire aux lois judaïques.

Dimanche 3 avril, Pauline Bebe interviendra à Lyon lors des premières Rencontres du judaïsme libéral francophone. Ce congrès, qui commence cet après-midi, constitue une nouvelle étape vers la constitution d’une fédération renforcée d’un mouvement minoritaire en France mais qui compte bien assurer son développement grâce, notamment, à une meilleure visibilité.

> Pauline Bebe, doit-on vous appeler «madame le rabbin» ou «madame la rabbine» ?

Madame le rabbin !

> Et pourquoi pas «madame la rabbine»?

Parce que le mot «rabbin» est un titre qui représente à la fois une fonction et une compétence. Il désigne une capacité à exercer une profession : le fait d’être un homme ou une femme n’y change rien. En outre, «rabbine» est un terme couramment employé pour nommer la femme du rabbin, ce qui peut être source de confusion. Sauf dans les langues où il est impossible de faire autrement, comme en allemand («Rabbinerin»), le maintien de l’usage du mot «rabbin» est la règle pour les 900 femmes rabbins qui exercent cette tâche dans le monde. L’académie hébraïque a proposé le terme «rava», féminin de «rav» mais il n’a pas été retenu par mes collègues.

> Vous avez été la première femme à officier comme rabbin en France en 1990. Cela est-il mieux accepté aujourd'hui ?

Oui. Et cela a été plus facile pour mes deux collègues qui ont suivi : j’ai essuyé les plâtres ! J’ai la chance d’avoir ma propre communauté à Paris, ce qui me permet de voir évoluer les esprits. Des personnes curieuses, voire hostiles dans certains cas, sont venues assister à des mariages, enterrements et bar ou bat mitsva : elles m’ont avoué avoir été touchées au point de se dire : « pourquoi pas une femme rabbin? ».

> Les railleries ont-elles cessé - comme celles de ces personnes qui pouvaient se fendre d'un « messieurs les rabbins », lorsque vous vous trouviez en présence d’autres rabbins du sexe masculin?

A mes débuts, j’ai fait face à des railleries ridicules. Certains me demandaient par exemple où j’avais mis ma barbe ! Aujourd’hui, ce genre de moqueries est devenu moins fréquent. Les réticences se manifestent sous la forme de comportements plus subtils, parfois sexistes. Mais j’entends moins les moqueries : je suis convaincue de ce que je fais et j’ai un grand plaisir à enseigner les Textes.

> Que répondez-vous à ceux qui disent que la loi judaïque interdit à une femme d’être rabbin ?

La loi juive n’interdit pas à une femme d’être rabbin puisque la question ne s’est pas posée avant les mouvements pour l’égalité des sexes. Cependant, de nombreuses femmes, dans l’histoire juive, ont tenu des rôles que tient un rabbin aujourd’hui. Déborah était juge dans la Bible, Berouriah enseignait la halakha (loi juive-ndlr) dans le Talmud… Ces femmes sont certes des exceptions mais elles peuvent être des exemples pour nous aujourd’hui.

> Trois femmes rabbins officient-elles toujours en France?

La troisième est repartie définitivement la semaine dernière aux Etats-Unis. Mais une autre vient de Belgique une fois par mois environ pour officier à Saint-Germain-en-Laye. Une autre femme rabbin pourrait prochainement arriver des Etats-Unis.

> Vous aviez créé en 1995 votre propre communauté, la Communauté juive libérale d’Ile-de-France, en quittant le Mouvement juif libéral de France. Les divisions sont-elles surmontées?

Oui, nous travaillons beaucoup plus ensemble. Le congrès organisé à Lyon, après celui de Paris en mars 2010, en est la preuve. Cette collaboration se déroule à tous les niveaux : rencontres entre responsables de communauté, rabbins, entre groupes de jeunes... Il existe de très nombreux liens, même si chaque communauté garde son indépendance, son autonomie et son style.

> Il n’est pas question de fusionner ces mouvements?

Non. Nous faisons tous partie du mouvement mondial pour le Judaïsme Libéral (WUPJ) mais chaque communauté reste indépendante. Il existe une fédération du judaïsme libéral, dont toutes les communautés ne font pas partie. Nous marchons vers la création d’un mouvement libéral francophone, avec nos collègues de Belgique et de Suisse. Il est important aussi d’assurer notre visibilité dans le judaïsme français. Notre mouvement est peu connu alors qu’il est majoritaire dans le monde.

> Mais en France, il est très loin d’être majoritaire : 15000 membres pour 600000 à 700000 personnes de confession ou de culture juive. Pourquoi?

Au fil du temps, le consistoire (créé sous Napoléon en 1808-ndlr) a freiné le développement du mouvement libéral. C’est paradoxal quand on sait qu’à ses débuts, ce même consistoire s’est beaucoup inspiré des doctrines du mouvement libéral, qui sont apparues en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle (Haskala - judaïsme des Lumières - ndlr) : beaucoup des réformes conduites par le judaïsme libéral, par exemple la bat mitsva pour les filles, le français dans les offices, l’accompagnement de musique, les choeurs mixtes, ainsi que l’acceptation des enfants de mariages mixtes, avaient été adoptées par cette institution. Puis le consistoire a opéré un repli sur lui-même et c’est à ce moment-là que se sont développées d’autres communautés libérales en dehors de celle de la rue Copernic installée à Paris en 1907.

> La communauté libérale peut-elle se développer en France ?

Nous essayons de nous rattraper. De nombreuses personnes ignorent notre existence. Elles seraient d'accord avec nos thèses si elles les connaissaient. Aujourd’hui, une majorité des juifs français ne se reconnaît pas dans l’organisation consistoriale. Le potentiel de développement est important, comme on l’a vu aux Etats-Unis, en Angleterre ou en Israël. Ce qui s’est passé dans ces pays, va se produire en France.

> N’y a-t-il pas un risque de dissolution du judaïsme dans le judaïsme libéral?

Ma réponse est non. Il existe des générations de juifs qui restent libéraux. Ce judaïsme est très vivant et attire beaucoup de jeunes, du fait notamment de sa créativité dans l’interprétation des textes. Récemment, un commentaire de la Torah a été écrit par des femmes, toutes rabbins ou docteurs en Bible et en Talmud. Nous innovons en matière de liturgie, en créativité musicale. Et nous réfléchissons sur des nouvelles questions d’éthique, par exemple une forme de bio-casherouth.

> Ce judaïsme est « très vivant » dites-vous. Mais des rabbins orthodoxes observent aussi un retour aux sources vers le judaïsme traditionnel, y compris chez les plus jeunes. Enfin, certains critiquent ce qu’ils appellent les «quicks conversions» («conversion rapides», pour faciliter les mariages mixtes), parfois accusées d’affaiblir le judaïsme. Que leur répondez-vous?

Qu’il n’existe pas de « quick conversions »! Beaucoup de fausses informations circulent à ce sujet. Dans les mouvements libéraux, les conversions ne sont pas « rapides » : le processus dure au minimum un an et demi/deux ans. Certaines conversions orthodoxes ou en Israël, prennent moins de temps que les nôtres! Les « conversions rapides » sont effectuées par des personnes qui usurpent le titre de rabbin et ne font, en tout cas, pas partie de notre mouvement. Nous sommes pour le pluralisme dans le judaïsme et il est bon que toutes les tendances s’entraident pour défendre un judaïsme citoyen qu’il soit orthodoxe, massorti ou libéral.

> Le mouvement libéral est, selon vous, en plein essor. Faut-il réformer le système consistorial pour y intégrer les synagogues libérales?

Non. Le consistoire est une organisation très hiérarchisée, dont Napoléon voulait qu’elle ressemble à celle de l’Eglise. Or, cela ne correspondait pas aux souhaits de la communauté juive, qui avait demandé à l’époque, en vain, la nomination de trois grands rabbins de France. Je ne conteste pas le fait que le consistoire ait été utile à la communauté et qu’il le reste aujourd’hui pour beaucoup de juifs français. Mais certains ne s’y reconnaissent pas : les libéraux bien sûr, mais aussi les massortis et certains orthodoxes. Il leur faut des alternatives aux côtés du consistoire. Nous pensons que chaque mouvement ou communauté doit avoir une forme d’autonomie : intégrer le consistoire n’aurait donc pas de sens. Nous faisons partie du conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) et son organisation me semble bien davantage correspondre à la structure endémique du peuple juif.

> NOTE

Le rabbin Pauline Bebe a notamment publié « Qu'est-ce que le judaïsme libéral ? » (Calmann-Levy) et « A l’ombre du Tamaris » (Presses de la Renaissance).

Le programme des Rencontres du judaïsme libéral francophone (1er au 3 avril 2011 à Lyon) est disponible sur internet à l’adresse http://www.rjlf2011.com/

Entretien réalisé par Nicolas Ballet (nballet@leprogres.fr