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"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

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Mémoires inachevés par Yitzkhok Laybush Peretz

Dans mon ignorance, j'ai longtemps cru que la littérature yiddish était surtout représentée par les frères Israël et Isaac Singer. Il est vrai que ce sont sans doute eux dont l'oeuvre est la plus accessible parce qu'elle est en grande partie traduite en français et en anglais. De plus, l'oeuvre d'Isaac B. Singer a été couronnée du Prix Nobel de Littérature ! 

A présent, Nathan Weinstock vient de traduire les "Mémoires inachevés" de Yitzkhok Laybush Peretz (1852-1915). Il nous permet ainsi de découvrir un auteur moins connu que les Singer, mais considéré avec Mendelè Mokher Sforim et Sholem Aleykhem, comme étant l'un des pères fondateurs de la littérature yiddish moderne. Pour ma part, après avoir entamé la lecture de ce livre, je ne l'ai lâché qu'après le point final. Jamais je n'ai lu des "Mémoires" à ce point jaillissantes de vie, des Mémoires où l'auteur reconstitue avec autant de tendresse, d'espièglerie, de critique sévère aussi, le monde de son enfance, un monde qu'il porte encore en lui au seuil de la vieillesse et qui, au moment où il le décrit, est déjà en voie de disparition. La mort n'a pas permis à Peretz d'achever son récit qui se termine avec le premier mariage de l'auteur.

Dans son excellente présentation, Nathan Weinstock situe Peretz dans l'espace, sa ville natale de Zamoshtsh en Pologne, et dans le temps, la 2ème moitié du 19ème siècle. Contrairement à ce que beaucoup semblent croire, Peretz ne fut ni  yiddishiste, ni militant socialiste, ni adepte du hassidisme. Pourtant par son oeuvre littéraire, il a permis au yiddish de devenir une langue à part entière, il a su décrire avec beaucoup de réalisme la pauvreté du shtetl et il a contribué à faire connaître les affrontements très durs qui opposèrent souvent les partisans de la Haskala à ceux du hassidisme du Baal Shem Tov.

Enfant, il était captivé par la Toyré(Tora) et la Gemorè(Guemara)dont il assimile des pages et des pages sans aucune difficulté, et si les adultes sont d'accord pour dire qu'il a un cerveau prodigieux, ils le sont également pour déclarer qu'il est complètement meshuge (fou). Sans doute ce jugement était-il dû à la fantaisie débridée du petit garçon, fantaisie qui se retrouve intacte, cinquante ans plus tard, chez le conteur. C'est ainsi qu'il nous informe très clairement que ses portraits sont subjectifs: "Je ne cherche pas à dépeindre les personnes, me bornant à rapporter ici le reflet que j'en conserve dans ma mémoire. Et ces reflets correspondent rarement à la réalité.....Ainsi, il se pourrait que j'aie retenu d'une femme blonde l'impression d'un visage auréolé de noir – parce que son souvenir évoque pour moi des idées noires......"  Cela  ouvre une galerie de personnages hauts en couleur, tel Fayvl Geliebter. "Homme paré de toutes les vertus "Ah! Ah! Mais quel homme vertueux, un savant pour ainsi dire !", mais un mécréant pur sang. On n'aurait pas parié deux sous sur ses chances d'accéder à l'Au-delà !". Ou encore le vieux Rabbin Wahl qu'il dépeint avec tendresse: "Au physique, un petit Juif adorable à la barbe argentée. Avec des yeux qui étaient réellement pareils à ceux d'une colombe et adorant les enfants. Il lui suffisait de se montrer – dans la rue, à la besmedresh (beth ha midrach), qu'importe – pour se trouver entouré aussitôt d'une nuée de jeunes ! Et alors, sa tête émergeait à peine du troupeau, tel un petit coq dont la crête dépasserait légèrement celle de ses congénères. Mais lorsqu'il récitait la prière du Kol Nidré à la Shul, .....on écoutait dans un silence absolu sa voix qui se répandait dans les coins les plus reculés du bâtiment...."

J'aimerais citer encore de nombreux passages à la fois drôles et lucides, mais la place me fait défaut; je ne puis que convier tous ceux qui liront ces lignes à se plonger dans ce livre profondément émouvant qui ressuscite si bien un monde qui n'est plus. Un grand merci à son traducteur, Nathan Weinstock.

Un petit bémol cependant. Le texte aurait eu tout à gagner d'une meilleure relecture qui aurait permis d'éliminer de très nombreuses incorrections. Nous souhaitons à ce livre un succès tel qu'un deuxième tirage s'avère bientôt nécessaire, et qu'à cette occasion l'éditeur procède à un véritable toilettage. Le chef d'oeuvre que sont ces "Mémoires inachevés", pourra alors se présenter dans une forme digne de son fond.

 

Je voudrais également mentionner deux des rares oeuvres de Peretz traduites en français:

 

Métamorphose d'une mélodie

Contes et récits

Traduit du Yiddish par J. Gottfarstein

Albin Michem "Présences du Judaïsme"

 

ainsi que:

Les Oubliés du shtetl

Yiddishland

Traduit du Yiddish par Nathan et Micheline Weinstock

Plon "Terre Humaine"

Ces oeuvres feront l'objet d'un prochain "Lu pour  vous"

Monique Ebstein