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"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

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December 1, 2022 6

Shofar 393  |  Vu de l'extérieur et de l'intérieur

Alexandre (Ezra) Piraux
shofar@beth-hillel.org

ÉDITO

Vu de l'extérieur et de l'intérieur

La vision qu’on peut avoir d’une communauté ou d’un groupe, par exemple, est une perception. Selon les dictionnaires, la perception est la réunion de sensations en images mentales et possède aussi le sens de la compréhension plus ou moins nette de quelque chose. Comme beaucoup de mots, ce terme est polysémique, a plusieurs sens. Il revêt une forte dimension subjective. De plus il serait vain de prétendre avoir une vision globale et générique de la manière dont les Juifs furent perçus tant dans le temps que dans l’espace compte tenu du nombre de variations selon les évènements et les circonstances. Ainsi les contributions thématiques n’aborderont sagement que certains éléments ou aspects bien circonscrits et ponctuels de cette perception.

Pour beaucoup de non-Juifs et donc vu de l’extérieur, les Juifs sont censés être partout et se tenir les coudes. Etre Juif serait une garantie d’unanimisme et d’entre-soi. Beaucoup pensent aussi en leur for intérieur que les Juifs mobilisent une part trop grande d’attention. Bref qu’ils exagèrent, ne redoutent rien et sont hyper-susceptibles. Solidaires ils bénéficieraient d’une influence disproportionnée et auraient un rapport particulier à l’argent.

A l’intérieur du ou des mondes juifs, beaucoup se sentent mal aimés, suspectés ou pour le moins incompris par le monde extérieur. Le désir d’alya semble monter face à l’insécurité générale qui suscite le désarroi et ce même si d’autres raisons peuvent intervenir telles les perspectives économiques.  La valorisation militante de l’Etat d’Israël est devenue pour beaucoup un marqueur de judéité mais il est vrai que le monde extérieur reste pour le moins porteur de lourdes menaces et que nous avons une propension innée à repérer les menaces qui s’avancent. Entre les différentes appartenances et obédiences, se joue aussi plus ou moins à bas bruit la question de la légitimité des uns et des autres pour représenter le Judaïsme. Qui  est Juif, qui est le plus authentique, le plus vrai? D’autres personnes sont dans l’assimilation, l’oubli, ou le déni farouche de leur judéité voire la haine de soi.

Voilà donc énoncés de part et d’autre, des perceptions, des ressentis généraux que des sondages essaient de vérifier ou d’infirmer. Ce sont souvent des préjugés et des projections ancrées dans les esprits. Ils sont variables en intensité dans le temps et dans l’espace avec des va-et-vient. Parfois aussi des réalités tangibles.

Bien sûr il y a lieu de se méfier des sondages et il est nettement préférable de se référer à des faits plutôt qu’à des déclarations et à des opinions. Il n’empêche que la récurrence des résultats quel que soit l’organisme enquêteur donne un certain poids (crédibilité) à ces perceptions même si rappelons-le, elles fluctuent fortement selon les périodes, les circonstances et les lieux.

Malgré l’invitation à la prudence quant à la pertinence et à la fiabilité des sondages et des enquêtes en général, il est incontestable que l’antisémitisme ne cesse de croître en Europe. Ainsi un Belge sur quatre ou sur cinq se montrerait « modérément à fortement » antisémite.

Une enquête a été réalisée en 2019 et 2020 par Ipsos pour l’association APL (Action and Protection League, organisation partenaire de l’European Jewish Association. Il en ressort que 26% des Belges âgés de 18 à 75 ans  sont modérément antisémites dans le sens où ils ont tendance à agir de manière biaisée vis-à-vis d’une personne d’origine juive (ce qu’on désigne un antisémitisme conatif).

Les vieux stéréotypes persistent du genre « un réseau secret juif influence la politique et l’économie dans le monde » ce qui constitue un antisémitisme dit « primaire ».

« L’antisémitisme reste un problème grave dans nos sociétés. La pandémie de coronavirus et l’agression de la Russie contre l’Ukraine ont encore alimenté cette haine », déclare Michael O’Flaherty, directeur de la FRA (Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne). « Sans données adéquates, nous ne pouvons espérer être efficaces pour lutter contre des incidents antisémites qui ne datent pas d’hier. Il est grand temps que les pays de l’UE intensifient leurs efforts pour encourager le signalement et améliorer le recensement, afin de mieux lutter contre la haine et les préjugés à l’encontre des Juifs. »

Selon le rapport de antisémitisme.be, le nombre d’incidents antisémites rapportés est passé de 65 en 2011 à 119 en 2021. Et selon les statistiques policières de criminalité les cas de déni ou de révisionnisme enregistrés étaient de 2 en 2011  et de 27 en 2020 année où le chiffre est le plus élevé.

Dans une  carte blanche publiée sur le site du journal Le Soir  du 14 novembre 2022, l’ambassadeur des Etats-Unis auprès de la Belgique Michael M. Adler faisait écho à l’appel lancé par l’ambassadrice Lipstadt en charge de la lutte contre l’antisémitisme auprès des nations pour que ces dernières nomment leur propre envoyé spécial ou coordinateur dans le cadre de cette lutte, et qu’elles leur donnent davantage de moyens en termes de budget et de personnel. Il estime que la Belgique a besoin de ce représentant pour aider à définir une politique nationale et plaider en faveur d’une plus grande coordination au niveau international. 

A l’occasion de son « mot du Président », Benjamin Dobruszkes estime que « Si nous sommes capables de donner de nous une image relativement unie pendant un court moment (pour traverser une période de danger ou pour accueillir un.e responsable politique par exemple), la plupart du temps, nous entretenons un folklore qui nous est propre : chercher ce qui va nous différencier de notre voisin…. »

Peut-être l’aurez-vous remarqué mais c’est à vrai dire peu probable, au contraire des hymnes God Save The Queen ou de la Marseillaise, la Brabançonne paraît ne pas avoir de texte unique.

Certes, de nos jours, on chante, le plus souvent, l'air bien connu composé par le ténor Van Campenhout, sur les paroles de la dernière strophe d'un poème de Charles Rogier, publié en 1860. Mais il existe d’autres versions très proches. Thomas Gergely Directeur de l’Institut d’études du Judaïsme commente pour nous dans  « Salomon Hymans et la Brabançonne » avec sa verve érudite habituelle, les différents textes dont la seconde version de l’hymne (1852), celle de Salomon Louis Hymans homme politique et journaliste juif qui a en réalité inspiré Charles Rogier. C’est un fait qui témoigne d’une perception patriotique voire d’un grand enthousiasme dans le chef d’un membre éminent de la communauté juive vis-à-vis du jeune Etat-nation. Il ne fut bien entendu pas le seul.

Roland Speeckaert dans « Les Juifs et le Judaïsme vus par les Romains »  présente un texte précis et clair. Son analyse commence à la fin de la période de la République (44 à 27 avant l’E.C.) jusqu’à l'Empire romain en 380 (Edit de l’Empereur Théodose). Lorsqu’on examine l’histoire de cette période, l’auteur constate que le regard des Romains sur les Juifs fut basé à la fois sur l’aversion et sur l’attirance.

Irène Némirovsky est une romancière russe juive d’expression française dont l’œuvre a été redécouverte récemment. Elle est morte le 12 août 1942 à Auschwitz à l’âge de 39 ans. A travers son livre David Golder qui est le portrait féroce d’un banquier juif et de sa famille empoisonnée par l’argent, Marc Brichaux examine le reproche d’antisémitisme et de haine de soi (Selbsthass) que certains ont perçu dans son oeuvre. En réponse, elle précisera qu'elle a voulu, comme dans d'autres récits, dépeindre un milieu spécifique qu’elle connaissait bien plutôt qu'une « race », selon la terminologie de l'époque. Que faut-il en penser ? Le rapport complexe  au Judaïsme d’autres auteurs comme Chaïm Potok, Bernard Malamud, et Philip Roth est aussi examiné.

Dans la rubrique « Rencontre avec » Daniela Touati rabbin de la communauté Keren Or de Lyon, qui a été ordonnée en 2019 par Pauline Bebe, nous livre son riche parcours de vie passant du management au rabbinat. Elle nous  confie entre autres, le sens de son engagement et ce que serait selon elle un bon rabbin.

Luc Bourgeois qui fut un des amis proches de Henri Lindner z’’l et de son épouse Adèle Letors z’’l, relate avec sa grande sensibilité des moments de vie passés avec Adèle, décédée récemment. Ces rencontres furent de marquantes leçons de vie. Comme Luc le mentionne « Chaque peinture, chaque sculpture (d’Adèle NDLR) avait une histoire, parfois joyeuse, parfois triste. » Adèle qui fut miraculeusement épargnée durant la guerre ne s’est jamais vraiment remise de la mort de Henri, l’amour de sa vie.

Isabelle Telerman propose deux livres le premier de Jacob Glatstein Voyage à rebours des excellentes éditions de l’Antilope. Jacob Glatstein est un poète yiddish né à Lublin en Pologne (1896-1971). Son Voyage à rebours est comme son nom l’indique un voyage dans le temps. Yash le surnom de l’auteur embarque à New York sur un bateau pour retourner à Lublin, sa ville natale à un moment où l’Europe est au bord du gouffre.

Le second ouvrage recensé est celui d’ Omer Meir Wellber Les absences de Haïm Birkner. Ce jeune auteur né en Israël en 1981 est surtout connu comme un brillant chef d’orchestre d’envergure internationale. Haïm Birkner le héros de son récit est sur le point d’avoir 108 ans. Il est le plus vieil homme d’Israël, et peut-être le dernier survivant de la Shoah. Alors que l’on propose de le célébrer, Haïm provoque un scandale quand il décide soudainement de retourner en Hongrie, dans l’appartement de ses parents qu’il ne s’est jamais résolu à vendre. C’est une histoire vraie et pourtant inventée. Les deux livres sont donc en quelque sorte des invitations au voyage.

Enfin nous terminerons par les drachot de Ilya Beck et de Zamuel Zatalovski. Ilya Beck commente le 17 décembre 2022 la paracha Vayechev qui traite principalement du destin de Joseph.  Ilya adhère au principe que nous avons deux destins : celui que l’on contrôle et celui que l’Éternel prévoit pour nous. Il estime que certaines circonstances et détails peuvent néanmoins être modifiés par notre motivation à gagner du mérite auprès de l’Éternel et à rendre notre vie meilleure.

Le 4 février 2022, Zamuel Zatalovski présente sa dracha sur Bechalah qui relate les premiers pas que font les Hébreux dans le désert, juste après leur départ d’Égypte. Moïse reçoit des reproches qui sont liés à des réflexes de base que sont la faim, la soif et la peur. Ce sont des réflexes universels. Et Zamuel de rappeller que « Ce que nos ancêtres reprochent le plus à Moise, c’est qu’ils sont obligés de se prendre en charge. Le poids de la liberté est trop lourd pour eux. Pourtant, c’est en gagnant cette liberté qu’il deviendront un peuple. »

Comme vous le noterez peut-être, la présente livraison printanière contient une série de portraits  de personnages réels ou fictifs. Tous ces personnages reflètent à leur manière les difficultés et les aléas de la condition humaine. Puissent l’énergie et l’audace des plus justes d’entre eux, être des sources d’inspiration et de vie.

Alexandre (Ezra) Piraux

shofar@beth-hillel.org