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October 1, 2023 5:
Shofar 395 | Judaïsme en Ukraine
Alexandre (Ezra) Piraux
shofar@beth-hillel.org
Judaïsme en Ukraine
« Le mot du Président » sera le dernier d’une longue série. En effet après cinq années de présidence, Benjamin Dobruszkes a décidé de passer le flambeau, tout en désirant rester actif comme administrateur. Le départ d’une fonction qui est d’ailleurs plus une mission qu’une fonction implique souvent un deuil à faire dans le chef de l’intéressé mais aussi des personnes concernées surtout si la tâche fut remplie avec brio et élégance ce qui fut le cas. Nous tenons donc à le remercier vivement pour son investissement et sa présidence dynamique plus que fructueuse. Nous savons toutefois qu’il restera bien présent.
L’intéressant texte de Daniel Tollet Professeur à la Sorbonne offre un parcours historique détaillé et complexe de l’Ukraine. Des premiers Juifs du Royaume du Bosphore (438-110 av. E.C) au Président juif Volodymyr Zelensky. Il y eut de nombreuses dominations/oppressions auxquels les Juifs s’adaptèrent pour être ensuite massacrés ou chassés.
A l’heure actuelle, l’auteur évoque « … une « concurrence des mémoires » (qui) s’est instaurée entre les victimes de la « Shoah par balles » et, celles des crimes soviétiques. Dans ce contexte délétère, une partie des Ukrainiens voient leurs nationalistes, y compris les collaborateurs, comme des héros ayant osé s’opposer à Staline en occultant ou en justifiant, par le mythe du « judéo-bolchévisme », les massacres auxquels ils ont pu participer. »
Notre rencontre virtuelle avec le jeune rabbin libéral russe Igor Zinkov officiant à Londres est remplie d’enseignements et d’informations importantes rarement relatés dans les médias. Ces éléments sont pourtant décisifs pour essayer de comprendre les évènements actuels.
Rabbi Zinkov explique notamment sa vision des quatre raisons de l’agression russe : l’héritage de l’imposante Union soviétique, le sentiment d’impunité suite à l’invasion de la Crimée, la menace existentielle face à l’OTAN, enfin Poutine est au pouvoir depuis 23 ans, or le pouvoir corrompt. Dans un registre culturel et linguistique, il est symptomatique d’observer qu'avant la guerre, la langue principale de la communauté juive ukrainienne était le russe, et ce quelle que soit la localisation de la communauté. Aujourd’hui Rabbi Zinkov rencontre des Juifs ukrainiens qui adoptent et apprennent la langue ukrainienne par principe et comme marqueur de leur identité ukrainienne et de leur position anti-russe.
Quant à Rabbi Etienne Kerber qui fit son stage dans notre synagogue en 2020, il nous engage dans son article à ne pas se laisser gagner par la peur. Il retrace de manière fluide et claire la parcours du hassidisme en Ukraine, en partant du faux messie Sabbatai Tsvi (17ème siècle) et des réactions suscitées par sa chute, continuant avec le grand Baal Shem Tov (18ème siècle) pour terminer avec rabbi Naẖman de Bratslav (Breslover en yiddish) son arrière-petit-fils qui « ne cherchait pas le succès, mais plutôt la rébellion contre les travers du succès ». Il souhaitait de ses disciples qu’ils deviennent chacun des tsadiks.
Marc Brichaux a choisi de nous parler de l’écrivain d’origine ukrainienne Aharon Appelfeld et de son livre autobiographique mais sous forme parcellaire, portant le beau titre Histoire d’une vie (2004). Il nous rappelle que même si Appelfeld a fait sa vie en Israël, il n’a jamais réellement quitté sa terre natale. On retrouve dans ce roman les thèmes du silence et de la contemplation présents dans toute son œuvre.
Mon texte met l’accent sur certains évènements historiques marquants et renvoie à un concept de psychologie sociale « Le narcissisme des petites différences » qui conduit à l’hostilité dans ce cas-ci entre Russes et Ukrainiens. L’article évoque aussi la mémoire longue des peuples qui resurgit tel un diable sortant de sa boîte.
Nous reproduisons comme il est d’usage le texte de la derachah de la parachah Bamidbar par Boris Disenhaus. Ce dernier établit un parallèle audacieux entre le chemin du désert des Hébreux et ce que il vit comme adolescent devenant jeune adulte. Pour le Talmud si la Torah nous est donnée dans le désert, c’est pour nous apprendre que nous devons être ouverts à son enseignement comme le désert est un lieu ouvert. La longue traversée est aussi une longue introspection. Et : « Ils nous prouvent par leur pérégrination qu’il faut passer par un chemin long et difficile pour arriver vers un monde meilleur ».
Chantal Krischek qui est une thérapeute expérimentée poursuivra la suite de « De génération en génération » qui est le récit d’une thérapie familiale et d’une transmission intergénérationnelle liée à des traumatismes cachés, lors du prochain numéro. Patience donc.
Pascale Leah Engelmann ne cache pas son émerveillement à la lecture du dernier roman graphique de Michel Kichka L’autre Jérusalem paru en juin 2023.Il s’agit d’une « pépite » que je vous laisse découvrir. A travers son autobiographie l’auteur vise beaucoup plus large et nous séduit.
Dans le cadre de la rubrique « Envie de li(v)re » Isabelle Telerman présente un roman picaresque de l’auteur israélien Yaniv Iczkovits (48 ans) paru en 2023 et qu’elle a particulièrement apprécié La vengeance de Fanny.
Isabelle a aimé le courage de l’héroïne Fanny, mi-Michel Strogoff, mi-Don quichotte féminin qui malgré sa judéité difficile à assumer dans cet environnement hostile à la fin du 19èmesiècle aux confins de l’empire russe, va affronter multiples péripéties depuis le shtetl de Motelé jusqu'à la ville de Minsk. Elle va tout tenter pour retrouver son beau-frère qui a abandonné sa famille et ainsi faire taire les calomnies perfides à l'encontre de sa soeur Mendé. Pour l’auteure de la recension « Iczkovits réussit à recomposer authentiquement la part subtile d’un judaïsme disparu : son âme. »
En fin de compte, un des enseignements de ce numéro « Judaïsme en Ukraine » met en exergue le fait que le passé et ses traumatismes influencent le présent beaucoup plus que nous le pensions.
Nous vous souhaitons une année 5784 pacifique et féconde tant dans votre vie personnelle que professionnelle.
Alexandre (Ezra) Piraux
shofar@beth-hillel.org