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"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel

Commentaire

11 septembre 2001 - 11 septembre 2011

September 11, 2011 12:

Le  rabbin Stephen Berkowitz était rabbin de Hebrew Tabernacle, une synagogue libérale située dans le nord de Manhattan avant de revenir au MJLF, en automne 2004. Il y a officié entre août  1997 et  juillet 2004.

A la mémoire de toutes les victimes des attentats du 11 septembre 2001

à New York,  Washington D.C.,  et Shanksville

 

Le matin du mardi 11 septembre 2001, je me trouvais chez moi à New Rochelle, une banlieue proche de New York City. Je me préparais pour aller officier à un enterrement d'une ancienne membre de notre communauté qui vivait alors près de Boston. (L'inhumation sera annulée à cause des attentats car le corbillard n'avait pas obtenu l'autorisation de traverser les ponts vers Manhattan) 

J’ai appelé le rabbin émérite de notre communauté, Bob Lehman z'l,  pour recueillir plus d'informations sur la défunte. A peine quelques secondes dans la conversation, il me dit: « Allume tout de suite la télé ! Un avion vient juste de percuter le World Trade Center ! » Je me précipite vers mon poste. Impossible d'obtenir une image. Il n'y avait plus de réception. Juste de la neige grise sur l’écran... J'ignorais que l'antenne exploitée par le réseau local de T.V. qui se trouvait en haut de la Tour nord, était tombée en panne suite au crash du premier avion.

Je sentais que quelque chose de terrible était en train de se passer. J'ai pris rapidement quelques affaires et je suis parti en vitesse vers « the City » en voiture. C’est un peu flou dans ma mémoire, mais il me semble que j'avais le pressentiment que je ne pourrais peut-être pas revenir vers New Rochelle avant quelques jours. Sur le chemin, j'ai essayé sans succès d'écouter la radio pour avoir d'autres informations.

Juste avant de m'engager sur l'autoroute qui menait à Manhattan, le deuxième avion a foncé sur la Tour sud, mais je l’ignorais. Alors que des millions de téléspectateurs aux USA et dans le monde voyaient en direct ce second impact, moi j'ai raté cette image terrifiante de l'attentat en direct.

Le pont Henry Hudson que j'empruntais tous les jours pour descendre à Manhattan était fermé. La police new yorkaise barrait la route à tous les automobilistes, ne laissant passer que les pompiers, les ambulances et les policiers. J'ai pris un autre chemin pour atteindre le Bronx, afin de me rapprocher le plus possible du quartier nord de Manhattan se trouvait la synagogue. J'ai garé la voiture côté Bronx, pris mes affaires et traversé le pont de Broadway à pied. encore, un important dispositif de police avait monté un barrage afin d’empêcher l’accès aux véhicules.

... J'ai marché longtemps, une distance de cinq kilomètres, en direction de la synagogue.

Alors que je traversais un parc dans le nord de Manhattan, je vis une femme hispanique allongée sur une couverture en train de faire des exercices de yoga. C'était une image paisible, un contraste fort avec la terrible tension qui régnait par ailleurs, et que j’ai constatée en arrivant dans le quartier de la synagogue. Groupés autour des épiceries et restaurants qui avaient des postes de télévision, les gens regardaient une tour en train de s'effondrer et l'autre en train de brûler.

C'est sûrement un geste d'Al Qaïda dit quelqu'un...

Nous regardions avec émotion les immenses nuages de poussière, et de débris,  les milliers de new yorkais qui couraient, aussi vite qu'ils le pouvaient en direction du nord de Manhattan. Et puis, il y avait une multitude de feuilles de papier si fragiles qui flottaient dans l'air et qui « échappaient » à la conflagration...

J'ai passé la nuit  du 11 septembre dans ce quartier pour être proche de ma fille de 7 ans qui y vivait. Je n'ai pas beaucoup dormi cette nuit-là, car je voulais suivre les informations à la radio. Je me disais : « le monde sera différent à partir d'aujourd'huiNous sommes en guerre ! »

Je n'ai pas souvenir d'avoir eu peur ni d'avoir ressenti beaucoup d'angoisse. C'est peut-être parce que ce qui me préoccupait surtout, c'était le sort des membres de notre synagogue qui étaient majoritairement  des réfugiés allemands très âgés. Ils avaient trouvé, à partir des années trente, dans ce quartier calme du nord de Manhattan, un havre de paix. C'étaient principalement des veuves, déjà fragilisées par la vieillesse, dont un certain nombre sans enfants. Il fallait que je fasse, en tant que rabbin, le maximum pour les rassurer et les accompagner...

Dans une synagogue libérale, les rendez-vous communautaires pour la prière se font le vendredi soir et le samedi matin.  Au lendemain des attentats du 11 septembre, nombreux furent les membres qui ressentirent le besoin de se recueillir plus souvent. Dès le mercredi soir 12 septembre, nous avons proposé un office de Maariv. Une de nos membres s'inquiétait pour un voisin qui travaillait dans les Twins et  n'avait pas donné signe de vie. Nous avons cité son nom mais n'avons pas récité le kaddish....

Le jeudi ou vendredi suivant, je me trouvais dans un restaurant libanais de mon quartier. Autour de deux grandes tables, étaient réunies des personnes de 25 à 35 ans. J'avais l'impression qu'il s'agissait d'enseignants. Ils parlaient fort, riaient et débattaient des retombées politiques de cet attentat alors que New York City était encore sous le choc, que Ground Zero continuait de brûler, et que les familles dont les êtres chers avaient disparu attendaient toujours des nouvelles … Le comportement de ces personnes me choquait. Alors je me suis levé, les ai interpellés : « Excusez-moi, pourriez-vous être un peu plus retenus. Il y a des centaines de morts à l'autre bout de Manhattan. Ce n'est pas le moment pour les analyses et les polémiques. Un peu de respect pour les familles! » Puis, j'ai évoqué l'histoire de Job et le fait que ses trois amis étaient restés avec lui pendant sept jours. « Que personne n'osait lui adresser la parole car ils voyaient combien sa douleur était accablante » (Job 2: 13) Sur ce, une jeune femme asiatique se lève et avec un regard menaçant et une voix agressive me dit que je n'avais pas le droit d'imposer ma culture biblique aux autres ! Que dans sa culture, on festoie devant les tombes des morts ! ...

Au cours du chabbat qui suivit les attentats, l'affluence fut plus grande que d'habitude. Nous étions deux semaines avant Roch ha Chana. Dans la paracha Nitsavim nous lisions : « Vous êtes debout, vous tous, en présence de l'Eternel ...Vois, je te propose en ce jour d'un côté la vie avec le bien, de l'autre la mort avec le mal. Choisis la vie et tu vivras toi et ta postérité (Deutéronome 29: 1; 30 : 15 et 19). En écoutant ces paroles, nous étions tous frappés par leur puissance et leur résonance avec l'actualité.

Dans la foulée du 11 septembre, les voisins qui ne se parlaient pas avant, commencèrent à échanger davantage. Des drapeaux américains furent placés sur les balcons, et sur les autoroutes qui menaient à Manhattan, on voyait de nombreuses antennes de voitures sur lesquelles flottait la bannière étoilée.

Dans la deuxième semaine qui suivit les événements, tout le clergé du nord de Manhattan se mobilisa. Il y avait des prêtres et des pasteurs. J'étais le seul rabbin. Nous avions décidé alors avec un service social local d'initier des programmes de soutien psychologique pour les familles de victimes.

Dans ce drame, je sentis une forme d'écho à ce que j'avais vécu quatorze ans auparavant  à la veille de Kippour, lorsque la terre avait tremblé près de Los Angeles, où je vivais. Rabbin de communauté, j'avais du porter assistance, à travers une association œcuménique, à un certain nombre de familles dont les maisons avaient été détruites.

Lors d'une des réunions mises en oeuvre par cette association inter-religieuse, un responsable d'un service de secours d'une église protestante nous apprit que le mot en chinois pour dire désastre comporte deux caractères, l'un signifie « danger », et l'autre, « opportunité. » Opportunité de nous unir dans la fraternité malgré nos différences, et travailler ensemble pour reconstruire les foyers, et pour reconstruire la confiance et les forces de vie...

La veille de Rosh haShanah, la synagogue était plus remplie que d'habitude. Compte tenu des événements du 11 septembre, j'ai été obligé de revoir mon sermon pour évoquer ce que nous avions tous vécu ces dernières deux semaines. Je voulais faire un lien entre la résilience de ces Juifs allemands qui avaient réussi à reconstruire leur vie, et ce que les new yorkais avaient traversé aux cours de ces terribles journées de septembre.

Voilà ce que je leur disais : « Vous, qui avez réussi à quitter l'Allemagne nazie à temps. Vous, qui avez du laisser derrière vous parents et grands-parents, vous savez très bien ce que cela veut dire de rebondir après une catastrophe, avec courage et dignité.  Vous pourriez servir d'exemples pour toutes les familles qui dans les jours et les semaines à venir auront besoin d'affronter la dure réalité de la perte brutale d'un être cher et la destruction d'un monde. »

 

Rabbin Stephen Berkowitz

s.berkowitz@mjlf.org

www.mjlf.org