Accueil

"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel

Votre fumée montera jusqu’au ciel par Joseph Bialot

par Isabelle Telerman

Encore un témoignage sur la Shoah … Un de plus ou plus exactement un de moins puisque Bialot nous a quittés en novembre dernier.

Ce témoignage viendrait-il après tous les autres, dans la longue file où se côtoient Primo Levi, Robert Antelme, David Rousset, Elie Wiesel, Imre Kertesz et d’autres que la célébrité n’a pas retenue mais qui ont réussi à coucher sur le papier une part définitivement abîmée d’euxmêmes, parfois à la demande de leurs enfants, d’enfin dévoiler avant de disparaître, ce qui avait précisément échappé à la disparition. Il serait délicat d’établir un ordre de priorité parmi ces écrits, bien davantage indécent d’y introduire une sélection. Toutefois, force est de constater qu’ils se distinguent sur le plan littéraire : récits autobiographiques (Wiesel), essai au détachement clinique(Levi), fresque lyrique (Piotr Rawicz) ou longue épopée fantastique (Leib Rochman), dans une magistrale utilisation de la fiction pour exprimer la négation la plus absolue de l’humanité.

Chez Bialot, le témoignage est brut, rugueux. L’auteur est allé au camp, pas à la Sorbonne. On écoute davantage la narration qu’on ne la lit. On se trouve face à une force vitale qui n’épargne rien à la nature humaine. Il faut dire que l’expérience concentrationnaire annule purement et simplement toute illusion à l’égard de son prochain. L’utilisation d’une ironie caustique dans la description de scènes particulièrement dramatiques pourrait paraître décalée, presqu’inappropriée. Mais elle appartient aux mécanismes de survie mis en place par l’auteur pour « s’en sortir », avec cette lancinante interrogation : s’en sort-on jamais d’une telle expérience ?

Bialot expose sans gêne (peu lui importe ce que le lecteur en pensera) ses opinions géopolitiques, pour le moins radicales, rabotant sans doute au passage les consensus universitaires. Mais la vie fait que certains individus n’ont pas eu le temps de s’intéresser à la complexité des choses, particulièrement quand il s’agit de survivre à tous les instants. La vie a mordu leur chair sans leur demander leur avis.

Le récit est émaillé de bout en bout par la gouaille du titi parisien que fut Bialot, pourtant né à Varsovie en 1923 et qui, avec ses parents, s’installe à Paris en 1930. Véritable amoureux de la ville, connaisseur incollable des rues, des impasses et des cours du quartier des ateliers de la confection, Bialot connaîtra, à 57 ans, une célébrité littéraire comme auteur de romans noir, avec la publication d’un premier polar intitulé « Le salon du prêt-à-saigner ».

A l’heure où les témoins disparaissent, où ne subsisteront bientôt plus que les écrits, les enregistrements, les études historiques aussi fouillées et scrupuleuses soient-elles, Bialot nous adresse que tout ce qui est publié sur Auschwitz doit être lu, systématiquement, inlassablement, chaque strate se superposant à la précédente, comme si chaque lecture était vierge de toute connaissance préalable, alors qu’on pourrait imaginer, après quelques ouvrages, en dessiner au moins certains contours . Mais les contours d’Auschwitz sont inaccessibles. Personne n’est jamais revenu raconter sa propre mort, écrivait Primo Lévi.

Alors, il faut lire, lire et encore lire. Avec des pauses, sûrement. Des polars par exemple.

Ed.l’Archipel, 2011

Collection Série Noire

978-2-80980-491-1

260 pages

 

Le salon du prêt-à-saigner

Joseph Bialot

Editions Gallimard, 1978

Collection Série Noire

ISBN 978-2-07043-548-7

247 pages