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"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

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Mazal tov : les événements du cycle de la vie

February 29, 2012 12

Mazal tov : les événements du cycle de la vie.

"Mazal tov", c'est par cette formule de félicitations que nous présentons nos souhaits à l'occasion de la plupart des célébrations familiales. Ces rites qui ponctuent notre vie ne sont habituellement pas présentés comme fondamentaux dans le Judaïsme. Il n'en demeure pas moins que ces rites sont une connexion profondément enracinée de notre Judaïsme, au point que certaines mauvaises langues ont pris l'habitude de dire que les synagogues ne voient leurs membres qu'en quatre occasions bien définies :

            Leur Brit Milah, leur Bar Mitsvah, leur Chouppahleurs funérailles.

Ce bilan semble quelque peu cynique car il nie l'essentiel, les Juifs sont irrémédiablement attachés à ces rites qui viennent donner un sens à leur identité et à leur sentiment d'appartenance. Bien sûr, tous ces rites ont des équivalents non religieux et sont universellement célébrés dans les autres cultures et dans les autres religions ; la naissance, l'adolescence, le mariage et la mort sont des étapes clefs de la vie de tous les êtres humains. Mais pour les Juifs, même éloignés de leur héritage, il s'agit de célébrer ces événements d'une manière qui soit spécifiquement juive et qui les rattache ainsi à la chaîne de transmission de la tradition.

Au premier abord, nous pouvons nous réjouir de ce qui ramène les Juifs à la synagogue, mais nous devons avant tout nous demander ce qui fait de nos rites des rites proprement juifs, et si besoin comment renforcer leur sens dans le cadre du Judaïsme Libéral. Je ne parlerai cependant pas ici des funérailles qui sont d'une nature différente et mériteraient un article spécifique.

La brit milah, la circoncision, est souvent comparée au baptême chrétien, mais ces deux rites ont des sens bien distincts. Le baptême dans l'église Catholique affecte la nature même de l'âme et ne peut souffrir d'exception pour qu'un enfant puisse se joindre à l'Eglise. La circoncision elle-aussi est au cœur de notre identification, au point que seules les pires persécutions et interdictions ont pu temporairement nous faire remettre en question sa pratique. Mais la circoncision n'est pas l'alliance elle-même mais seulement le "signe de l'allianceאות ברית

 

ונמלתם את בשר ערלתכם והיה לאות ברית ביני וביניכם 

Vous circoncirez la chair de vos prépuces et ce sera le signe de l'Alliance entre Moi et vous (Genèse 17.11).

En ce sens, la circoncision devient fonctionnellement similaire aux téfilines à propos desquels nous disons dans le shéma.

וקשרתם לאות על־ידך

 Tu les (ces paroles) attacheras comme signe sur ton bras (Deutéronome 6.8)…

Si la circoncision marquait l'Alliance elle-même, alors à l'image du baptême chrétien il n'existerait pas de possibilité d'exemption, même à titre médical comme le prévoit la tradition depuis les premiers rabbins. De manière encore plus troublante, les femmes seraient alors implicitement exclues de l'Alliance, ce qui n'est pas le sens de notre enseignement.  Bien qu'elles ne portent pas de signe, les femmes sont bien inclues dans l'alliance entre Dieu et Israël, et c'est pour éviter toute confusion que, comme de nombreuses autres synagogue libérales, notre communauté célèbre à quinze jours l'entrée dans l'Alliance des petites filles par la brit leidah, une cérémonie qui reprend une partie de la liturgie de la brit milah.

La brit milah et la brit leidah célèbrent toutes deux l'entrée dans l'Alliance du jeune enfant. Il s'agit de cérémonies familiales qui ont lieu le plus souvent à la maison, alors que les parents, et surtout la maman, se remettent des émotions et de l'effort de l'accouchement. Entre un et six mois, quand ils ont pu reprendre un début de vie sociale, les parents viennent présenter leur bébé, fille ou garçon, à la Torah, et à la communauté. A l'opposé de l'entrée dans l'Alliance, de la brit, la présentation à la Torah est une cérémonie publique qui a lieu le samedi matin lors de l'office de Shabbat, c'est l'occasion d'une montée à la Torah particulière et de la proclamation du nom hébraïque de l'enfant.

La montée à la torah est également au cœur de la prochaine cérémonie qui marquera la vie de l'enfant, la bar ou la bat mitsvah. La présence récurrente de la Torah souligne l'importance de l'étude dans la vie juive. Si l'importance de l'étude est proclamée depuis l'époque de la mishnah, la bar mitsvah telle que nous la célébrons aujourd'hui n'est qu'une création récente du 15ème ou 16ème siècle. Quant à la bat mitsvah, si des cérémonies eurent lieu occasionnellement à partir du 19ème siècle pour célébrer la majorité et la responsabilité religieuse des jeunes filles, ce n'est qu'à partir de 1922 et de la célébration de la première bat mitsvah égalitaire par Judith Kaplan, la fille du rabbin Mordecai Kaplan fondateur du mouvement Reconstructionist, que cette célébration devint populaire. Cette popularité a même gagné les milieux orthodoxes, mais sous des formes dont le sens est dilué voire expurgé : sans montée à la torah ni participation liturgique, et même sans célébration individuelle, noyée dans l'indifférenciation d'une cérémonie de groupe. D'un autre côté, la bar mitsvah, et parfois la bat mitsvah, est investie d'une importance sans rapport avec sa signification et peut devenir l'occasion de fêtes d'un faste inapproprié ; on retrouve trace de cette critique dès le 16ème siècle dans les archives communautaires. Comme les autres événements du cycle de la vie la célébration de la bar/bat mitsvah ne transforme pas le jeune homme ou la jeune fille, qui deviennent de fait bar et bat mitsvah, responsables de leurs actes dans le cadre religieux en atteignant l'âge approprié. Mais nous pouvons dire que cette célébration est le fruit d'une transformation qui a eu lieu auparavant : l'acquisition des connaissances et des compétences de base pour un futur adulte Juif et surtout l'affirmation d'une identité et de l'acceptation d'un héritage millénaire. De cette manière, la célébration de la bar/bat mitsvah est similaire à celle du shabbat dont nous disons chaque semaine :

 ושמרו בני־ישראל את־השבת לעשות את־השבת לדרתם ברית עולם: ביני ובין בני ישראל אות הוא לעלם 

Les enfants d'Israël garderont le shabbat pour l'observer à travers leurs générations comme une Alliance éternelle ; entre Moi et entre les enfants d'Israël, c'est un signe pour l'éternité (Exode 31.16-17)…

Que nous le célébrions ou pas, le shabbat est le septième jour de la semaine, mais il n'est le signe de l'Alliance que lorsque nous l'observons. De même la bar/bat mitsvah ne prend tout son sens que lorsqu'elle célèbre les connaissances et l'affirmation de l'identité de l'adolescent. Il n'est pas nécessaire de célébrer sa bar/bat mitsvah pour être Juif. Aujourd'hui encore un certain nombre de jeunes femmes juives n'ont pas célébré leur bat mitsvah, et, dans l'après-guerre, de nombreux hommes n'ont pas souhaité ou pu marquer cet événement. Même célébrer sa bar/bat mitsvah ne fait pas du jeune homme ou de la jeune fille, un Juif ou une Juive

par contre la célébration de la bar/bat mistvah est la consécration d'un processus qui affirme la judéité. Il n'est pas un sacrement qui transforme la personne, pour extirper toute tentation de comparaison avec la Christianisme, mais l'affirmation de ce qu'est cette personne et de l'éducation qu'elle a reçue.

La célébration de la bar/bat mitsvah est aussi la suite logique de l'entrée dans l'alliance, de la Brit, qui a eu lieu peu de temps après la naissance. Alors que l'enfant est passif lors de la Brit Milah/Leidah et que le choix est uniquement le fait des parents, la jeune fille ou le jeune homme s'approprie cette entrée dans l'alliance pour la confirmer lors de la bat/bar mitsvah.

Tout ceci nous permet d'aborder de manière plus claire la nature du mariage dans le Judaïsme. Le mariage est également la déclaration d'un pacte, d'une alliance ; mais cette fois-ci, c'est entre deux personnes, les époux, que cette alliance est proclamée. Cette déclaration est faite publiquement, d’où la nécessité de témoins, c'est-à-dire devant la communauté, la famille et les amis ; Dieu est également invité à témoigner de cette alliance et c'est le sens des sheva berachot, des sept bénédictions, qui sont invoquées sur le jeune couple. Jusqu'au "Grand Sanhédrin" de Napoléon en 1807, le mariage juif possédait à la fois une dimension légale et une dimension symbolique et spirituelle. La dimension légale telle qu'exprimée dans la ketoubah, a été vidée de la plus grande partie de sa substance par l'émancipation et le Sanhédrin de Napoléon puisque c'est dorénavant, en Belgique comme en France et depuis dans toute l'Europe, la loi de l'Etat qui gère les dispositions matrimoniales, civiles et financières.

Malgré cela, et bien que le mariage religieux n'aie pas d'incidence sur le statut des futurs enfants, les Juifs, même peu pratiquants, restent attachés à la célébration du mariage religieux juif. Comme les autres cérémonies du cycle de la vie, le caractère juif du mariage est nécessaire pour donner tout son sens à l'événement, un sens qui reste donc incomplet lorsqu'il se limite au seul mariage civil. Je pense qu'un des éléments importants du mariage juif, et tel que représenté par la chouppah qui symbolise la  maison et le foyer, est l'engagement de la transmission. Le foyer est le lieu de la transmission d'une génération à une autre, de la transmission de notre héritage, l'Alliance, brit, conclue par l'Eternel avec nos pères Abraham, Isaac et Jacob et nos mères, Sarah, Rébecca, Rachel et Léa, puis transmise à tous les enfants d'Israël. En se mariant sous la chouppah le nouveau couple s'engage à transmettre cette Alliance, et à perpétuer la célébration des événements du cycle de la vie.

Toutes ces cérémonies balisent nos vies et celles de nos enfants. Elles ne sont pas des passages obligés que nous devons respecter simplement parce c'est ce que les Juifs font ou parce qu'elles conditionnent notre statut de Juif, elles sont au contraire le fruit de notre judéité, l'affirmation de notre appartenance à Israël et de notre célébration de l'Alliance. Ces cérémonies nous insèrent dans la continuité de la vie juive. Nous remarquons souvent que le Judaïsme affecte les actes les plus quotidiens de la vie. La table en est un bon exemple, à plus forte raison ces cérémonies nous permettent de réitérer notre attachement à notre tradition aux grands moments de notre existence.

D'avance je vous souhaite de très nombreux Mazal Tov.

Rabbin Marc Neiger