Dans La Presse

Non, tous les rabbins ne sont pas des obscurantistes. Oui, certains élèvent la voix pour prôner un autre judaïsme et fustiger les intégristes*. Et il n’est pas nécessaire d’être pratiquant pour les respecter et les apprécier.

Par le rabbin Gédéon Sylvester **

Yoram Kaniuk, un des plus grands écrivains d'Israël, a démissionné de la religion juive. Il a obtenu d’un tribunal de ne plus être inscrit comme « juif » dans les registres d’état civil du ministère de l’Intérieur mais comme « sans religion ».

Les rabbins ne l'ont pas pris au sérieux parce que la loi juive est claire sur ce point : quels que soient les efforts que fasse un Juif pour échapper à sa foi, il n’en reste pas moins juif (Sanhedrin 44a).

Mais, même si l'acte de Kaniuk n'a aucune signification halachique, il n’en devrait pas moins interpeller tous ceux qui se soucient du judaïsme en Israël. En tant que rabbin orthodoxe, cette manière de faire me perturbe même si je comprends les frustrations qui l’ont causée.

Beaucoup de traditions juives comme le seder de Pâque, l’allumage des bougies à Hanoukka et tant d’autres, sont belles, chaleureuses et attirent aussi bien Juifs religieux que laïcs. Hélas, tout cela est éclipsé par les méthodes coercitives de certains leaders religieux.

Notre religion exige certes de la minutie mais quand le respect maniaque du rituel devient la raison d’être du judaïsme, il engloutit les splendides messages éthiques de notre tradition. Même cette vision aride du judaïsme serait encore tolérable si ses partisans ne voulaient pas l’imposer aux autres Israéliens.

La contrainte religieuse est l'ennemie de la vraie religion. Forcer les gens à croire ou à pratiquer ne suscite que ressentiment et haine.

Une vraie foi ne s’acquiert que lorsqu’elle est présentée avec intelligence et accompagnée par la chaleur et la bonté qui ont toujours été était toujours associées à la vie juive. A ce sujet, il me revient une histoire vraie qui s’est produite à Petah Tikva, il y a bien longtemps.

Des fanatiques voulaient alors manifester contre l’ouverture de cinémas qui profanaient le shabbat. Mon maître, Rabbi Riskin, était tout à fait opposé à cette idée : « Que ces cinémas restent ouverts », nous avait-il dit.

Mais il avait tout de suite ajouté : « Et qu’ils restent vides parce que chaque Juif aura été invité à un repas de shabbat avec ses amis, ses voisins et sa famille ». Je lui fis alors remarquer qu’il fallait tout de même protester contre les transgressions religieuses.

Ces voyous ne sont qu’une infime minorité

Là encore, sa réponse avait été directe et sage : "Personne ne t’a nommé « gendarme de Dieu »", m’a-t-il dit. Et il avait raison. Mais il y a bien plus grave que de se proclamer policier de l’Eternel. C’est de devenir criminel en Son Nom.

C’est ainsi que, soi-disant pour défendre la belle cause de la décence, certains « religieux » ont agressé des jeunes filles. C’est ainsi qu’au nom d’un prétendu « amour de la Terre d’Israël » d’autres s’en sont pris à des oliveraies, des mosquées et des bases de l’armée.

D’un point de vue religieux, ces individus commettent un des plus grands crimes possibles : le « Chillul Hashem » («Profanation du nom de Dieu »). Or, ces voyous ont beau n’être qu’une poignée, leurs actes n’en salissent pas moins tous les croyants.

En voyant leur méprisable comportement, on peut comprendre pourquoi beaucoup de Juifs idéalistes se détournent de la religion. Pourtant, ne nous apprend-on pas que « les voies de la Torah sont agréables et ses chemins paisibles » (Proverbes 3: 17) ?

Ce ne sont pas que des mots. Le judaïsme s’enseigne par la douceur, la chaleur et la sensibilité. Il ne tolère pas ces poisons que sont l’élitisme, la contrainte ou le racisme. Nos rabbins doivent promouvoir un judaïsme empli de compassion.

Un judaïsme qui défend le pauvre et l’opprimé, le faible et l’étranger, tous ceux qui sont vulnérables dans notre société. Alors, plus personne n’ira au ministère de l’Intérieur modifier son état-civil. Alors, les Juifs seront à nouveau fiers de leur foi.

°http://www.haaretz.com/jewish-world/resigning-from-judaism-1.392135

**Le Rabbin Gédéon Sylvester est le rabbin de la British United Synagogue en Israël et le directeur du Centre d'études religieuses du Judaïsme et des Droits de l'Homme à l'Université hébraïque de Jérusalem.